Pour les raisons données ces dernières semaines – cf. billets sur égalité des chances (1), la HALDE, égalité des chances (2) et (3)-, et à commencer par son titre, « loi sur l’égalité des chances », la loi aurait du faire frémir tout être humain normalement constitué, c’est-à -dire qui reconnaît à son semblable le libre arbitre et la libre action responsables dont il se considère lui-même doté.
De par cette loi, il ne s’agit donc plus pour l’Etat d’instaurer par la coercition l' »Ã©galité de liberté » (cf. Spencer, fin du XIXè siècle) ou l' »Ã©galité de revenu » (étatisme post 1945, cf. Mises, Le gouvernement omnipotent), mais l' »Ã©galité des chances ».
Deus ex machina catalogué qui aurait donc donné implicitement des chances par le passé, l’Etat se propose désormais de faire disparaître l’inégalité de celles-ci et d’instaurer leur égalité. Même Hercule ne s’était pas vu imposer un tel travail. Mais c’est quoi l’égalité des chances ? Pas de débat sur la question !
Curieusement, seuls les trois premiers articles de la loi – qui portent « sur le CPE » – ont suscité un tollé de la part de certains qui, vraisemblablement, ont du boire du petit lait en lisant des articles qui suivaient tant cela correspond à leurs idées, à ce qui leur fait refuser les trois premiers articles…
A moins qu’ils aient arrêté leur lecture à l’article 4Â…
Si tel est le cas, c’est que les rédacteurs de la loi se sont trompés dans leur entreprise d’équilibrage des avantages et des inconvénients à destination des groupes de pression dont ils veulent le bien. Question en passant : serait-il donc plus difficile de réaliser cet équilibre que d’instaurer l’égalité des chances ? Serait-ce si difficile que le gouvernement aurait buggé ? Mauvais présage pour la suite des événements Â…
Face au tollé et comme pour corriger certaines erreurs, les rédacteurs ont reformulé le texte en y ajoutant un article et le complément (cf. ci-dessous l’article ajouté) est devenu un amendement qui a été voté par l’Assemblée nationale et le Sénat.
AMENDEMENT N° 3 Rect.
présenté par le Gouvernement
ARTICLE ADDITIONNEL APRÈS L’ARTICLE 3, insérer l’article suivant :
I. – Les employeurs qui entrent dans le champ du premier alinéa de l’article L. 131-2 du code du travail peuvent conclure, pour toute nouvelle embauche d’un jeune âgé de moins de 26 ans, un contrat de travail dénommé » contrat première embauche « .
L’effectif de l’entreprise doit être supérieur à vingt salariés dans les conditions définies par l’article L. 620-10 du code du travail.
Un tel contrat ne peut être conclu pour pourvoir les emplois mentionnés au 3° de l’article L. 122-1-1 (il s’agit des professions du spectacle) du code du travail.
II. – Le contrat de travail défini au I est conclu sans détermination de durée. Il est établi par écrit.
Ce contrat est soumis aux dispositions du code du travail, à l’exception, pendant les deux premières années courant à compter de la date de sa conclusion, de celles des articles L. 122-4 à L. 122-11, L. 122-13 à L. 122-14-14 et L. 321-1 à L. 321-17 de ce code.
La durée des contrats de travail, y compris des missions de travail temporaire, précédemment conclus par le salarié avec l’entreprise dans les deux années précédant la signature du contrat première embauche, ainsi que la durée des stages réalisés au sein de l’entreprise sont prises en compte dans le calcul de la période prévue à l’alinéa précédent.
Ce contrat peut être rompu à l’initiative de l’employeur ou du salarié, pendant les deux premières années courant à compter de la date de sa conclusion, dans les conditions suivantes :
1° La rupture est notifiée par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ;
2° Lorsque l’employeur est à l’initiative de la rupture et sauf faute grave ou force majeure, la présentation de la lettre recommandée fait courir, dès lors que le salarié est présent depuis au moins un mois dans l’entreprise, un préavis. La durée de celui-ci est fixée à deux semaines, dans le cas d’un contrat conclu depuis moins de six mois à la date de la présentation de la lettre recommandée, et à un mois dans le cas d’un contrat conclu depuis au moins six mois ;
3° Lorsqu’il est à l’initiative de la rupture, sauf faute grave, l’employeur verse au salarié, au plus tard à l’expiration du préavis, outre les sommes restant dues au titre des salaires et de l’indemnité de congés payés, une indemnité égale à 8 % du montant total de la rémunération brute due au salarié depuis la conclusion du contrat. Le régime fiscal et social de cette indemnité est celui applicable à l’indemnité mentionnée à l’article L. 122-9 du code du travail. À cette indemnité versée au salarié s’ajoute une contribution de l’employeur, égale à 2 % de la rémunération brute due au salarié depuis le début du contrat. Cette contribution est recouvrée par les organismes mentionnés au premier alinéa de l’article L. 351-21 du code du travail conformément aux dispositions des articles L. 351-6 et L. 351-6-1 du même code. Elle est destinée à financer les actions d’accompagnement renforcé du salarié par le service public de l’emploi en vue de son retour à l’emploi. Elle n’est pas considérée comme un élément de salaire au sens de l’article L. 242-1 du code de la sécurité sociale.
Toute contestation portant sur la rupture se prescrit par douze mois à compter de l’envoi de la lettre recommandée prévue au 1°. Ce délai n’est opposable aux salariés que s’il en a été fait mention dans cette lettre.
Par exception aux dispositions du deuxième alinéa, les ruptures du contrat de travail envisagées à l’initiative de l’employeur sont prises en compte pour la mise en |uvre des procédures d’information et de consultation régissant les procédures de licenciement économique collectif prévues au chapitre Ier du titre II du livre III du code du travail.
La rupture du contrat doit respecter les dispositions législatives et réglementaires qui assurent une protection particulière aux salariés titulaires d’un mandat syndical ou représentatif.
En cas de rupture du contrat, à l’initiative de l’employeur, au cours des deux premières années, il ne peut être conclu de nouveau contrat première embauche entre le même employeur et le même salarié avant que ne soit écoulé un délai de trois mois à compter du jour de la rupture du précédent contrat.
Le salarié titulaire d’un contrat première embauche peut bénéficier du congé de formation dans les conditions fixées par les articles L. 931-13 à L. 931-20-1 du code du travail.
Le salarié titulaire d’un contrat première embauche peut bénéficier du droit individuel à la formation prévu à l’article L. 933-1 du code du travail prorata temporis, à l’issue d’un délai d’un mois à compter de la date d’effet du contrat. L’organisme paritaire agréé mentionné à l’article L. 931-16 de ce code assure la prise en charge des frais de formation, de transport et d’hébergement ainsi que de l’allocation de formation due à ce salarié.
L’employeur est tenu d’informer le salarié, lors de la signature du contrat, des dispositifs interprofessionnels lui accordant une garantie et une caution de loyer pour la recherche éventuelle de son logement.
III. – Les travailleurs involontairement privés d’emploi, aptes au travail et recherchant un emploi au sens de l’article L. 351-1 du code du travail, ayant été titulaires du contrat mentionné au I pendant une durée minimale de quatre mois d’activité ont droit, dès lors qu’ils ne justifient pas de références de travail suffisantes pour être indemnisés en application de l’article L. 351-3 du code du travail, à une allocation forfaitaire versée pendant deux mois.
Le montant de l’allocation forfaitaire ainsi que le délai après l’expiration duquel l’inscription comme demandeur d’emploi est réputée tardive pour l’ouverture du droit à l’allocation, les délais de demande et d’action en paiement, le délai au terme duquel le reliquat des droits antérieurement constitués ne peut plus être utilisé et le montant au-dessous duquel l’allocation indûment versée ne donne pas lieu à répétition sont ceux applicables au contrat nouvelles embauches.
Les dispositions de la section 4 du chapitre Ier du titre V du livre III du code du travail sont applicables à l’allocation forfaitaire.
Les dispositions de l’article L. 131-2, du 2° du I de l’article L. 242-13 et des articles L. 311-5 et L. 351-3 du code de la sécurité sociale ainsi que celles des articles 79 et 82 du code général des impôts sont applicables à l’allocation forfaitaire.
Cette allocation est à la charge du fonds de solidarité créé par la loi n° 82-939 du 4 novembre 1982 relative à la contribution exceptionnelle de solidarité en faveur des travailleurs privés d’emploi.
L’État peut, par convention, confier aux organismes mentionnés à l’article L. 351-21 du code du travail ou à tout organisme de droit privé la gestion de l’allocation forfaitaire.
Un accord conclu dans les conditions prévues à l’article L. 351-8 du code du travail définit les conditions et les modalités selon lesquelles les salariés embauchés sous le régime du contrat institué au I peuvent bénéficier de la convention de reclassement personnalisé prévue au I de l’article L. 321-4-2 du code du travail. À défaut d’accord ou d’agrément de cet accord, ces conditions et modalités sont fixées par décret en Conseil d’État.
Après cette grande et sacrée cuisine, qu’est ce que le CPE amendé ?
C’est d’une part un contrat de travail réglementé « à temps plein » et non pas un contrat de travail réglementé « à temps partiel ».
C’est d’autre part un contrat en CDI, avec toutes les règles du CDI (Contrat à durée indéterminée),
à l’exception de celles qui concernent les licenciements.
Celles-ci sont modifiées, puisque l’employeur (et le salarié) ont le droit de mettre fin au contrat sans motif pendant les 24 premiers mois, comme actuellement en CDI pendant la période d’essai. Ces 24 premiers mois sont donc une période d’essai prolongée, mais pendant laquelle les jeunes salariés bénéficient d’avantages qu’ils n’auraient pas lors d’une période d’essai en CDI ou même pendant le CDI après la fin de la période d’essai.
Comme pour un CDI, le licenciement doit être notifié au salarié par lettre recommandée avec accusé de réception.
Il convient de souligner que ces vingt-quatre mois sont calculés en prenant en compte les stages, CDD (contrat à durée déterminé) ou périodes d’intérim que le salarié a déjà pu faire dans l’entreprise. Par exemple, soit un salarié qui aura travaillé quinze jours en stage dans l’entreprise Y, puis qui aura obtenu de cette entreprise un CDD de neuf mois, l’employeur (et le salarié) ne pourra mettre fin au contrat sans donner de motif que pendant douze mois et demi.
A l’expiration du délai de vingt-quatre mois ainsi calculé, le CDE est automatiquement transformé en CDI. L’employeur doit justifier tout licenciement, en revanche le salarié perd certains avantages (sur le montant des indemnités de licenciement).
Avantages du CPE que certains feront valoir.
I- A la différence de la période d’essai d’un CDI (qui permet de mettre fin au contrat sans préavis), le licenciement ouvre droit à un préavis de deux semaines pendant les six premiers mois et d’un mois ensuite (si le salarié a travaillé en stage ou en cdd (contrat à durée déterminée) dans la même entreprise, la durée du ou des stages, du ou des cdd entre en compte : ainsi, dans l’exemple précédent, le salarié aurait droit à un préavis d’un mois quelle que soit la date de son licenciement avant l’achèvement du CPE.
II – à la différence d’un CDI (où l’employeur ne doit aucune indemnité au salarié s’il le licencie pendant la période d’essai et n’en doit une, après cette période, qu’après vingt-quatre mois d’activité dans l’entreprise), le salarié a droit dès le début à une indemnité de licenciement égale à 8% des salaires bruts perçus depuis le début du contrat (et donc pendant les stages ou cdd qui l’ont précédé). L’entreprise doit aussi verser 2% des salaires versés aux organismes de sécurité sociale.
III- A la différence d’un CDI (pendant la période d’essai et après celle-ci, le salarié en CPE a droit à une formation dès son premier mois d’embauche (et non plus tard comme dans les CDI).
IV – Toutes les protections que le code du travail assure aux femmes enceintes, aux délégués syndicaux et autres catégories protégées s’appliquent aux salariés en CPE.
V – A la différence des CDD et CDI, le salarié en CPE licencié a droit à des indemnités de chômage dès qu’il a cumulé quatre mois de travail.
Grands inconvénients du CPE que certains feront prévaloir
La capacité juridique de licencier sans explications pendant les vingt-quatre premiers mois.
Pourquoi cette capacité juridique ?
Parce que les employeurs rechignent à engager des salariés, surtout des jeunes qui ne sont pas immédiatement opérationnels dans l’entreprise, qu’il faut former, s’ils ne peuvent pas mettre fin à leur contrat soit parce qu’ils ne donnent pas satisfaction (par exemple parce qu’ils n’auront pas réussi à se former pour les fonctions qu’on désire leur attribuer) ou si les affaires vont mal.
Mais avec un CDI, dira-t-on, les employeurs peuvent licencier pour des » raisons réelles et sérieuses »?
Certes, mais il est très rare qu’un salarié accepte (sauf accord avec l’employeur et octroi d’une indemnité) de reconnaître que la cause du licenciement est réelle et sérieuse. Presque toujours, le salarié attaque son employeur aux Prud’hommes.
Comme les entreprises, surtout les petites et moyennes entreprises, n’ont pas forcément un juriste spécialisé dans leur personnel, elles doivent faire appel à un avocat dont les honoraires sont en général de l’ordre de 450 à 600 euros l’heure, et rien que l’audience au tribunal représente deux ou trois heures.
Un licenciement, même tout à fait justifié, coûte donc à l’entreprise quelque chose comme 5.000 euros sans parler du temps passé, qui leur coûte aussi.
Donc les entreprises souhaitaient surtout ne pas être obligées d’avoir un procès aux Prud’hommes pour chaque licenciement.
En vérité, on pourra aussi penser que certains repoussent le CPE parce qu’il élargit le choix dans le « filet de réglementations » qui entrave les entreprises.
Ne soyons pas dupes, n’ayons pas d’illusion.
La loi sur l’égalité des chances » porte un coup considérable à la liberté de l’être humain et à tout ce qu’il peut espérer de celle-ci. Cela n’est pas une question de chances.
Pire, la loi fait renaître avec des oripeaux autres, la « planification à la française », au moment même où le gouvernement vient de fermer les portes du « Commissariat Général du Plan ».
En effet, « l’égalité des chances », ce n’est plus le « plan de sécurité social » instauré en 1945 et dont nous vivons actuellement les derniers ébranlements.
Ce n’est plus non plus la « planification indicative » – à la Pierre Massé – qui avait conduit le « Commissariat Général du Plan » à élaborer 12 « plans » successifs en près de cinquante années !
C’est tout simplement l’affirmation de la prétention étatiste que « agir en France » est en définitive un grand jeu de hasard, que le législateur est en mesure d’égaliser les chances de chacun et que l’égalité de celles-ci bénéficiera à tous. J’en veux pour preuve que le Premier ministre avait annoncé le 27 octobre 2005 la transformation du Commissariat général du Plan et que le « Centre d’analyse stratégique » lui succède en mars 2006. En d’autres termes, la bureaucratie planificatrice entre dans l’ère de l’incertitude déterministe et va proposer son infradéterminisme réglementaire. Quand parviendra-t-elle à l’ère de l’incertitude non déterministe, à l’ère de l’ignorance ?
Bref, le CPE n’est pas le problème. Le problème est cette loi, désormais votée mais pas encore promulguée, sur l' »Ã©galité des chances » qui a la prétention de faire gérer, directement ou non, nos chances par des réglementations bureaucratique.