La réponse est simple: parce que je suis rationnel, c’est-à -dire que je considère les coûts de mes actes, les buts recherchés et les chances d’atteindre ces buts.
Pour employer un langage imagé, l’ « équation » est la suivante, en appelant C le coût, V la valeur du but et p la probabilité d’ atteindre le but:
J’agis lorsque C < V x p.
Si le coût me semble trop élevé en regard du but pondéré par sa probabilité de réalisation, je choisis de faire autre chose. C’est ce que l’on appelle agir rationnellement.
Par exemple, je ne joue pas au loto, parce que même si la valeur du but V (gagner X millions d’euros) est grande à mes yeux, la probabilité p de gagner est tellement faible que j’estime que le coût C (2 euros + le temps passé + le déplacement + divers) est trop élevé. Entre parenthèses, c’est d’autant plus vrai que j’accorde peu de valeur à l’argent gagné par hasard en regard de l’argent gagné par un processus de production. En d’autres termes, je pense que je serais beaucoup plus heureux de gagner un million d’euros par mon travail et mon ingéniosité que cinquante à l’euromillions. Je crois d’ailleurs que c’est le cas de beaucoup de gens, qu’ils le veuillent ou non. Fin de la parenthèse.
Voyons ce qu’il en est du processus électoral:
L.a valeur du but (V) est relativement faible: quel que soit le résultat de l’élection, le changement pour moi ne sera pas phénoménal. C’est surtout valable pour le second tour de l’élection présidentielle. Ce n’est pas comme de gagner ou non au loto.
Pour m’en rendre compte, je peux tenter l’expérience mentale suivante: combien serais-je prêt à payer pour que le candidat de mon choix soit retenu ? Il faut bien voir que je ne sais pas grand-chose, ni du pouvoir réel qu’aura le président, ni de ses intentions, ni des changements futurs de ses intentions, bref, je suis en grande partie dans l’incertitude quant aux conséquences effectives de l’élection de l’un ou de l’autre.
Peut-être serais-je prêt à débourser 10 000 ou 20 000 euros pour choisir le président si c’était possible. Certainement pas plus.
En revanche, pour gagner 50 millions au loto, je serais certainement prêt à en dépenser au moins 49.99, donc une somme infiniment plus importante. Et pourtant je ne joue pas au loto: il me faudrait donc être bien inconséquent pour aller voter !
Voyons maintenant le coût (C): pour le loto, les 2 euros ne représentent qu’une partie du coût. On va dire que j’estime le déplacement, le temps passé, etc, à environ 3 euros. Si j’étais Bill Gates, il faudrait multiplier par 100 000. Je dirai donc pour simplifier que voter me coûte aussi 3 euros (ces chiffres sont fantaisistes bien sûr, ils n’ont qu’une vocation d’illustration). S’il y a une heure de queue, cela peut atteindre 20 euros (en effet, il m’est arrivé de donner 20 euros à quelqu’un dans une queue interminable pour passer devant tout le monde).
Bref, le coût est à peu près le même que dans le cas du loto.
Voyons maintenant le troisième élément de l’équation: la probabilité (p).
On sait que la probabilité de gagner au loto sur un seul tirage est comprise entre 1 sur 10 millions et 1 sur 100 millions suivant les loteries.
Je ne me hasarderai pas à calculer la probabilité que mon vote détermine le choix du candidat, c’est-à -dire la probabilité pour que les deux finalistes soient séparés par une ou zéro voix (hors la mienne), mais je ne crois pas m’aventurer beaucoup en affirmant qu’elle est du même ordre, au mieux, que celle de gagner au loto.
(Les mathématiciens pourraient sans doute nous donner une solution, basée j’imagine sur une loi normale centrée sur le score le plus probable, avec un écart-type raisonnable, etc..)
La conclusion est donc sans appel.
(p) et (C) sont sensiblement du même ordre pour le loto et les élections.
En revanche, (V) est dérisoire dans le cas des élections par rapport au cas du loto.
Donc, de mon point de vue, et si l’on n’a pas d’autre raison de voter que l’espérance de changer le résultat, il est beaucoup moins rationnel de voter au second tour de la présidentielle que de jouer constamment au loto.
Il me reste à répondre à l’objection que tout le monde fait devant mes arguments:
* Si tout le monde pensait comme toi, personne ne voterait. *
Je m’en réjouis. Les hommes de l’Etat seraient sérieusement décrédibilisés.
Cependant, il s’agit là d’un argument sans pertinence aucune: ce que je fais est indépendant de ce que les font les autres: ce n’est pas parce que je ne vote pas que brusquement, plus personne ne va voter. J’explique les raisons pour lesquels JE ne vote pas. Cela n’engage que moi et ne concerne que moi. Mes explications en tant que telles pourraient avoir une influence sur l’attitude de quelques-uns, certes, mais non le fait que je vote ou non.