Cette dépêche AFP est symptomatique de l’absurde idéologie de la « concurrence pure et parfaite » (1).
AFP le 23/09/2005 16h12. La commissaire européenne à la Concurrence Neelie Kroes a commencé vendredi à New York à clarifier les règles européennes relatives à l’abus de position dominante, jugées trop floues tant par les tribunaux que par les entreprises et les spécialistes du droit de la concurrence.
Tu m’étonnes: aucune définition intelligible de « l’abus de position dominante » n’a jamais été donnée, et pour cause.
Tout d’abord, il existe presque autant de types de produits que de producteurs, donc autant de segmentations possibles du marché. Quelle échelle de segmentation est donc pertinente pour juger du fameux « abus de position dominante » ? Car, en un sens, aucun produit n’est substituable à un autre, dès lors qu’ils sont différents. Mais comme nos ressources sont limitées, il nous faut bien choisir entre des alternatives quand nous faisons des dépenses: de sorte qu’en un autre sens, n’importe quel produit est en concurrence avec n’importe quel autre (ce qui est une façon de dire que nos choix se font dans un cadre de ressources limitées). La réalité est là . Prenons le « marché de l’automobile ». Y a-t-il concurrence entre Porsche et Renault ? Oui, ce sont là des marques de voiture, mais d’un autre côté non, car elles ne sÂ’adressent pas aux mêmes clients. Il n’y a en réalité pas plus de concurrence entre elles qu’entre Renault et la SNCF. Mais alors, il nous faut considérer le « marché des transports » tout entier pour y appliquer ce concept « d’abus de position dominante ». Mais dans ce marché des transports, il y a aussi les avions, les rollers ou les vélos: ne sont-ce pas des moyens de transport ? Faut-il en déduire que Décathlon est en concurrence avec Boeing ? Mais Décathlon n’est-il pas aussi en concurrence avec Go Sport, qui vend comme lui des équipements sportifs ? Mais Carrefour aussi vend des équipements sportifs ! Donc Carrefour est en concurrence avec Go Sport, donc avec Décathlon, donc avec Boeing, donc avec Renault !!
Quelle segmentation du marché est pertinente pour juger de « l »abus de position dominante » ? Le marché des bien de consommation ? Et plus précisément, des biens destinés aux enfants ? Celui des jouets ? Celui des jouets pour filles ? Celui des jouets pour petites filles ? Celui des poupées ? Celui des poupées Barbie ? Bingo ! Un million et demi de francs d’amende pour Mattel, inventeur-producteur des poupées Barbie ! Motif: Abus de position dominante sur le marché des poupées Barbie. (vers 1997, si mes souvenirs sont bons). Aux fous (2) !
L’ « abus de position dominante », ça ne veut rien dire, point. C’est l’argument des pillards et des parasites.
« L’article concerné est l’article 82, qui traite des pratiques d’une entreprise dominante réduisant la concurrence sur le marché. C’est au nom de cet article que Bruxelles a notamment condamné en mars 2004 le géant américain du logiciel Microsoft à une amende record de 500 millions d’euros. »
Bien fait: on ne sait pas ce qu’est l’ « abus de position dominante », certes, mais une chose est sûre, c’est que Microsoft s’en est rendu coupable et que le « préjudice », calculé par les experts (experts dÂ’un concept non défini), s’élève exactement à 500 millions dÂ’euros. Aux fous!
« Lors de la conférence annuelle de l’Université de Fordham, rendez-vous des experts mondiaux du droit de la concurrence, Mme Kroes a dévoilé les premiers résultats de la réflexion menée par ses services afin de « définir les cas dans lesquels une conduite peut éliminer la concurrence, tout en permettant en même temps aux sociétés de savoir quand elles sont dans leur bon droit ». »
Eh bien il serait temps, Mme Kroes ! On commence par coller une amende de 500 Meur et on réfléchit après ! Belle philosophie ! Il est tout de même assez terrifiant de constater une fois de plus que les brutes de l’Etat n’ont absolument aucune notion d’économie, et que leur réflexion sur le sujet n’a même pas encore commencé.
« Tout d’abord, a souligné la commissaire, avant de s’engager dans une procédure pour abus de position dominante, une autorité nationale de concurrence doit avoir rassemblé des « preuves claires » de dysfonctionnement des marchés et concentrer ses efforts sur les cas les plus nuisibles au consommateur. »
J’aimerais bien savoir ce qu’est un « marché qui fonctionne » et un « dysfonctionnement », d’après la commission européenne. La vérité, cÂ’est quÂ’un marché « fonctionne » tout simplement quand la violence agressive physique ne sÂ’en mêle pas. Quand chacun est politiquement libre dÂ’entrer sur le marché et d’échanger ce qui lui appartient avec qui veut lÂ’acheter. Mais comment la Commission Européenne pourrait-elle souscrire à cette définition, qui la dénonce elle-même comme une cause de dysfonctionnement du marché ?
« La commissaire a ensuite redéfini la « position dominante ».
Parce qu’elle avait déjà été définie ? Où ça ?
« D’importantes parts de marché ne sont pas suffisantes, à elles seules », a-t-elle dit, il faut « une analyse économique complète de la situation générale » afin notamment de prendre en compte la position des concurrents sur le marché ou encore les barrières légales à l’expansion. »
Oh la belle définition! J’espère que c’est bien clair, maintenant ! Faut-il re-redéfinir ? Tout le monde a compris ? Parfait, circulez. Je ne vois qu’un brin de vérité dans ce tissu de langue de bois: les barrières légales à l’expansion. Enfin! Oui, Mme Kroes, les distorsions de concurrence, c’est l’Etat et ses tentacules (la « Commission Européenne ») qui les créént, car lui seul a la capacité d’imposer ses choix par la force.
« Par ailleurs, Neelie Kroes a estimé « sensé de donner la priorité (dans sa réflexion sur l’article 82) aux pratiques abusives exclusives, dans la mesure où l’exclusion des concurrents est souvent à l’origine d’une exploitation du consommateur. Par pratiques exclusives, la Commission entend les ventes liées, les prix bradés et toutes autres pratiques visant à éliminer des rivaux jugés encombrants. »
Oh là là ! La densité d’absurdités et dÂ’anti-concepts est ici tellement élevée que c’en est décourageant…
1/Les ventes liées: ça veut dire quoi, ça? Qu’un produit n’est pas unitaire ? QuÂ’il nÂ’est pas insécable? Qu’il n’est pas atomique? Un hamburger 4 euros, le deuxième à 1 euro, c’est une vente liée ça ? Mais alors deux demi-hamburgers à 4 euros, c’est bien une vente liée aussi, non ? J’ai le droit d’acheter un demi hamburger, moi !! Sinon, c’est de l’exploitation du consommateur !! Et, que dis-je, un dizième, une molécule de hamburger !
Et cette voiture, là , mon cher concessionnaire Renault : c’est une vente liée ! Je ne veux que le volant !!
Et dites-donc pilote ! Vous vous posez maintenant, là , au dessus des montagnes, parce que m’obliger à payer le voyage jusqu’à Rome, c’est une vente liée ! Je veux seulement un segment du voyage, exploiteur !
2/ Les prix bradés… ah là là . Bradés, par rapport à quoi, au juste ? Quel est le critère quantitatif, objectif et systématique qui permet de distinguer un prix « bradé » d’un prix « bas » ? MisèreÂ…
3/ »…toutes autres pratiques visant à éliminer des rivaux jugés encombrants ».
Mais c’est la conséquence même de la concurrence, pauvre idiote. N’importe quel marchand cherche à vendre à la place de ses concurrents. Tous ses concurrents sont « jugés encombrants », évidemment. Comment pourrait-il en être autrement ? Vous attendez-vous à ce qu’ils disent: « Ah non, monsieur, vous achetez trop chez moi, allez un peu chez le voisin » ? On croit rêver.
« Pour la commissaire, il est nécessaire de « prendre en considération non seulement les nuisances faites au consommateur à court terme via des pratiques exclusives, mais aussi à moyen et long termes. En effet, « les prix peuvent tomber à court terme mais finir par augmenter à moyen et long termes », une fois les concurrents exclus. »
Eh bien dans ce cas-là , les concurrents reviennent, pauvre imbécile. Parce qu’avec ce raisonnement, si mon boulanger casse les prix pendant un an jusqu’à ce que ses rivaux du quartier se soient transformés en fleuristes, il pourra ensuite augmenter ses prix à l’infini, cÂ’est ça ? Mille euros la baguette ?
Nous ne vivons pas sur la même planète… La réalité, c’est que ce boulanger stupide va se ruiner tout seul, et le jour où il fera des prix exorbitants, on verra refleurir les anciennes boulangeries. Il nÂ’y a aucun moyen de vendre cher en empêchant des concurrents compétents d’émerger, si ce nÂ’est par la force physique. Il n’y a aucun problème tant que personne n’utilise la force contre les autres, ce qui est la seule manière dÂ’introduire des distorsions de concurrence, et c’est justement ce que Nelly Kroes veut à tout prix réaliser avec ses amendes et sa Commission Européenne !
« Nous ne pouvons nous contenter de nous en laver les mains et dire que les lois sur la concurrence ne peuvent ou ne doivent protéger le consommateur contre des effets à moyen ou long termes juste parce qu’il est difficile de l’évaluer! », a-t-elle lancé.
Nous sommes des ignorants, incapables de définir les concepts que nous brandissons, ni même dÂ’en parler de manière intelligible, nous prétendons que des phénomènes non identifiés existent quoiquÂ’ils soient impossibles à évaluer, mais tout cela n’a aucune importance: commençons par frapper, pan, un bon coup de bâton sur Bill Gates (ouh le vilain)-et ses millions d’associés. Et demain, sur vous, sur moi, sur n’importe qui. C’est la violence aveugle et hystérique tous azimuts.
« Toutefois, a nuancé Mme Kroes, « il est clair que la politique de concurrence ne devrait pas protéger les concurrents non compétitifs face aux pratiques agressives de prix bas d’une entreprise dominante ».
Jamais vu un tel entassement de contradictions. Je croyais que les pratiques agressives de prix bas devaient être interdites, précisément au profit de ces fameux concurrents non compétitifs (au profit de qui d’autre, sinon ??) mais, apparemment, je me suis trompé : il ne faut pas les protéger.
Voilà , jÂ’espère que vous avez compris que tout cela est bien clair dans la tête des commissaires politiques non élus qui nous gouvernent, et que vous êtes pleinement rassurés. En tous cas, la dépêche AFP mérite bien son titre: « UE: Neelie Kroes clarifie l’abus de position dominante »
Allez, tous ensemble: AUX FOOOOOOUUUUUUUS !
(1) Sur le sujet, voir les articles de Xavier Méra et lÂ’incontournable thèse de François Guillaumat, ainsi que l’ouvrage de Philippe Simonnot, « L’erreur économique ».
(2) Ce cri est une marque déposée par Eric ABC.