Une loi pour les nounous

Quand quelque chose existe depuis la nuit des temps et que ça marche très bien depuis la nuit des temps, il faut que l’Etat s’en occupe. Et hop un projet de loi pour réguler les nounous! Aujourd’hui tout le monde peut s’improviser nourrice, à ceci près que comme d’habitude il faut un blanc-seing de l’Etat, en l’occurence de la Direction Départementale des Affaires Sociales et Sanitaires.

La DDASS distribue des « agréements »: si ses inspecteurs vous jugent bien, vous aurez un agréement (pour un enfant), puis peut-être d’autres. Evidemment elle peut aussi refuser, pour des raisons pas toujours évidentes. Par exemple il court le bruit dans certaines parties du 94 (où je réside) qu’en vertu de la discrimination positive les agréements seraient plus facilement accordés quand on est une victime de l’oppression millénaire. Mais il peut aussi s’agir de motifs comme: « votre maison a des escaliers », ou au contraire: « un appartement c’est trop petit pour des enfants ». Pile tu perds, face je gagne.

Attendez-vous aussi à des visites surprises, à des entretiens inquisitoires, à des questions sur le revenu de votre mari et préparez un extrait de casier judiciaire de votre voisin aussi. Si vous vous mettez mal avec une puéricultrice chargée des inspections, gare à vous. Qui sait si vos agréements seront renouvelés…

Malgré une réduction du nombre d’agréements maximum par nourrice il y a quelques années, le système fonctionne encore. Peut-être parce que les nounous ont préféré en partie mentir et continuer d’accueillir des enfants plutôt que de les laisser sur le palier, aussi parce qu’on ne s’occupe plus trop de ces histoires administratives pesantes et qu’on paye en liquide… Mais justement, c’en est trop! Trop de liquide, pas assez de fiches de payes, pas assez de déclarations de revenus, pas assez de cotisations sociales (même si elles sont moindres pour les nounous): les nounous sont précaires! Vite, il faut la puissance de l’Etat pour réguler ce qui ne l’était pas assez.

Le Monde, journal officiel après le Journal Officiel, relate donc le projet de loi de « notre » ministre déléguée à la famille, parce que la famille c’est trop important pour être laissée aux familles:

Méconnu, peu valorisé, c’est pourtant l’un des métiers qui crée le plus d’emplois en France

Un métier méconnu et peu valorisé attire beaucoup de gens ? Ca ne devrait pas plutôt être le contraire ? D’après les chiffres ministériels, une multiplication par 2 depuis 10 ans. Cela ne nous dit pas combien d’enfants par nourrice, notez le bien, une donnée qui est en partie contrôlée par l’Etat.

Pour professionnaliser leur statut, inadapté et précaire

Qui l’affirme ? Le ministère évidemment, repris par Le Monde. Les nounous ne sont pas des pros ? Qui peut en juger ? Ce ne sont pas les parents, évidemment, qui laisseraient leurs enfants à la première débile venue. Tout le monde sait que les parents n’ont que leur porte-monnaie en vue et détestent leurs enfants et les abandonnent lâchement la journée à des personnes privées sous-payées, même pas des crèches d’Etat, soigneusement aseptisées et régulées et pourtant foyers récurrents d’infections. Les pauvres enfants ne peuvent même pas se socialiser chez les nounous, isolés qu’ils sont dès l’âge de 3 ou 6 mois. La socialisation, ça doit commencer le plus tôt possible, et en crèche. Pas au parc, ou lors des promenades qu’il est possible d’organiser entre nounous, au lieu de la cour de la crèche.
Le statut est précaire ? Cela dépend fortement d’un facteur appelé… le marché! En région parisienne les tarifs s’envolent: il y a peu de nounous, beaucoup de bébés. En Ile de France, si les parents veulent changer de nounou, ils mettront du temps à trouver, ils ne tomberont pas forcément sur mieux, ni moins cher! En province où beaucoup de femmes désoeuvrées tentent de gagner quelques sous de plus pour un foyer à seul revenu par contre, les prix sont nettement plus bas et les parents ont l’avantage. Ils peuvent changer assez vite, et dictent les règles. Le marché à l’oeuvre. Rien d’autre. Et c’est forcément délicat à gérer pour celles en province, comme c’est difficile pour les parents parisiens!
Le « statut » est inadapté ? Encore une notion arbitraire: si les nourrices l’acceptent et les parents aussi, où est le problème ? La liberté à l’oeuvre, ça doit être ça le problème. Les gens pourraient s’y habituer!

Préparée depuis des années, réclamée par tous les syndicats professionnels, la réforme s’impose

Les syndicats vont augmenter les salaires des nourrices déjà en place, augmenter le travail au noir, et selon la zone (Ile de France ou province) créer des effets pervers: pénurie ici, demande en excès là, etc.
Quant à la conclusion « la réforme s’impose », personne n’en doute puisque la loi de l’Etat s’impose toujours, y compris contre la volonté des personnes concernées.

Ensuite vient le passage qui ruine totalement l’argumentaire du ministère:

Selon l’Insee, 61 % des ménages qui font appel à un mode d’accueil payant pour leur enfant de moins de 3 ans ont recours à une assistante maternelle, quand ils ne sont que 33 % à recourir à la crèche, et 6 % à une employée à domicile. Surtout, les Français, interrogés par le Crédoc, considèrent que l’assistante maternelle agréée est le mode d’accueil le plus satisfaisant (32 %), devant la crèche collective (25 %) et même la garde par les grands-parents (24 %) et la garde à domicile (8 %)

En gros les parents sont contents, et le système a l’air de bien fonctionner, d’autant que comme souligné au-dessus les tarifs semblent satisfaire les nounous qui se sont multipliées!

Ces femmes, qui accueillent des nouveau-nés, ont « une responsabilité de chirurgien et un salaire de RMiste », résume, lapidaire, Françoise Bauche, du SNPAAM

Mais pas les mêmes études! Et c’est l’offre et la demande qui décide des tarifs… il faut d’ailleurs noter que les nounous sont certainement trop gentilles dans ce domaine: mesdames, n’hésitez pas à demander plus, vous le méritez!

S’y ajoutent des conditions de travail difficiles et contraignantes : les journées sont longues (40 % des assistantes maternelles travaillent 40 heures et plus par semaine, selon le ministère de l’emploi), les congés sont rares, les arrêts-maladie, mal indemnisés, et les retraites dérisoires. Dépourvues de formation préalable, sans perspectives d’évolution de carrière, les assistantes maternelles travaillent dans un grand isolement et avec un fort sentiment de précarité.

Encore une fois: tant qu’elles sont d’accord avec ça, pourquoi intervenir ?
Les journées sont longues: oui. Notamment en région parisienne, où si le premier enfant arrive à 7h30 et que le dernier part à 19h30 des journées de 12h sont fréquentes, et donc ? Et donc rien. c’est comme ça. Les nounous peuvent accepter ou refuser un contrat. Certaines n’acceptent que les enfants d’instituteurs: ils travaillent près de chez eux, payent sans ciller (pas toujours, mais en général), et arrivent tôt, et vous laissent votre mercredi! D’autres préfèrent plus de boulot et prennent des enfants de commerçants: plus de boulot, plus de paye. Et ce genre de stratégie permet de minimiser le temps global de travail, maximiser la paye ou minimiser le risque.
Les congés ? Arrangez vous avec les parents. C’est tout à fait faisable. La retraire ? L’épargne!

« Chaque renouvellement de notre agrément, attribué pour cinq ans par le conseil général, est un parcours du combattant, explique Françoise Bauche. On peut être licenciée à tout moment par un employeur avec seulement quinze jours de préavis. Un enfant malade, une grand-mère qui décide de garder le petit quelques jours, et l’on se retrouve sans solde… »

En fait l’une des principales récriminations est envers l’Etat… Etre licenciée à tout moment, ça ne vous paraît pas normal quand on vous parle d’enfants ? La solution se trouve comme pour le problème des enfants absents trop souvent: mettez tout ça sur papier, passez un contrat! Faites payer un forfait mensuel plutôt qu’une base journalière. Prévoyez un préavis plus long. Arrangez vous. Négociez. Agissez en femmes libres!

Le projet de loi rend obligatoire la signature, par les assistantes maternelles, d’un contrat de travail avec les parents qui les emploient. Elles devront recevoir un bulletin de salaire en bonne et due forme.

Heh. Ce qui est amusant, c’est que ce syndicat pousse toutes les nounous à signer des contrats et à appliquer tout cela (elles ont un site… et j’en connais). Qu’elles appliquent les conseils! Ce sont de BONS conseils. Par contre que le syndicat souhaite forcer cela est illusoire (travail au noir etc)!

[les nounous] devront se former durant soixante heures avant de garder leur premier enfant – alors qu’aujourd’hui, elles ont cinq ans pour se former après obtention de l’agrément. La procédure d’obtention de l’agrément sera uniformisée dans tous les départements et assurera un meilleur respect de la vie privée des postulantes. La durée de validité de cet agrément sera allongée

60heures aujourd’hui, demain combien ? Les gestes les plus naturels doivent donc être l’objet d’une formation ? Ahurissant… Ironie: elles auront 5 ans pour se former ce qui signifie tout bonnement qu’elles n’ont pas besoin de cette formation en premier lieu… on se doute aussi qu’une nouvelle administration va bientôt être créée pour les former!
Ah et puis on parle de respect de la vie privée des postulantes ? Oh ? Faudrait-il croire qu’il y a eu des abus ? Nooooonnnnn jaaammmaaaiiss! Tout le monde sait que les gestapistes de la DDASS sont parfaitement respectueuses de la vie privée!

Espérons pour les ass’mat (assistantes maternelles, les nounous!) que ce projet tombe à l’eau, cela ne résoudra en rien les problèmes auxquelles elles sont confrontées. Tout cela créera juste un peu de rancoeur, de frustrations, et exacerbera encore les tensions sur un marché en plein boom. Le syndicat des nounous fait un très bon travail auprès des nourrices elles-mêmes, mais attention: une fois que les politiciens se mêlent au jeu vous finirez toujours par le regretter.
Aujourd’hui ce sont les nounous qui devraient bénéficier d’avantages (retraite, conditions de travail générales), mais demain si le vent tourne les nounous deviendront les affreuses profiteuses qui extorquent tant d’argent aux parents. A ce moment là quelqu’un viendra avec l’idée que les nounous devraient être payées par l’Etat et que les parents n’auront plus le choix de la nounou mais qu’il y aura un zonage des nounous etcetera… Et ce jour-là mesdames, vous aurez tout perdu. Continuez de faire ce pourquoi vous êtes douées: votre boulot de nourrice Bonjour à toutes les nounous de France que j’apprécie énormément pour leur travail ô combien délicat et attentionné. Vous faites du très bon boulot. Bravo.