Islam=ennemi?

Oui, je ne connais que des individus, comme tout le monde. On peut bien, par abstraction, se créer des ennemis. Il en existe effectivement, des ennemis objectifs en raison de leur fonction (les politiciens, les bureaucrates…)mais des ennemis pour cause de religion ou de pensée, pour moi, il n’y en a pas. Seuls les actes comptent car seuls les actes peuvent enfreindre le principe de non-agression, cher aux libertariens. Il y a deux tendances chez les libertariens : il y a ceux qui ne font pas d’inquisition dans la tête des individus et qui se contentent du respect de certaines normes fondamentales (principe de non-agressionÂ…) et ceux qui veulent créer les conditions mentales du libéralisme.

Les premiers disent : chacun fait ce qu’il veut avec ce qui lui appartient et rien qu’avec ce qui lui appartient, les seconds ont tendance à considérer comme ennemis des individus en fonction de ce qu’ils pensent et non pas en fonction de ce qu’ils font (or seul ce qu’ils font révèle en fait la valeur qu’ils accordent à ce qu’ils pensent).

Les premiers n’analysent pas l’Islam pour en trouver une essence anti-libérale car ils savent bien qu’un texte sacré peut conduire historiquement à l’inquisition ou à la liberté de conscience. Aucune essence ne se fait voir dans sa pure nature, indépendamment des circonstances historiques. Les seconds simplifient la pensée humaine au point de croire qu’il suffit d’être musulman pour pouvoir être soupçonné d’anti-libéralisme et d’être un « danger islamique ».

A quelles attitudes psychologiques ces deux tendances peuvent-elles conduire ? La première conduit à jouer le jeu de la coopération avec la stratégie la plus efficace : celle du donnant-donnant et de la loi du talion résumée par Axelrod (Comment réussir dans un monde égoïste) :
– ne pas être envieux
– ne pas être le premier à faire cavalier seul (cÂ’est-à-dire à refuser la coopération)
– Pratiquer la réciprocité dans la coopération comme dans la défection
Ces règles s’appliquent au niveau individuel et pas au niveau collectif : on ne coopère pas avec le groupe inexistant des Musulmans mais avec des Musulmans individuels, avec des individus.

Cette attitude a le mérite de ne pas enfermer un individu dans sa classe sociale, dans sa religion, dans sa « communauté ». C’est l’attitude individualiste et libérale telle qu’elle a été magnifiquement décrite par J.S Mill dans On liberty (De la liberté, Folio essais) mais c’est aussi comme cela que j’ai compris l’universalisme chrétien : voir en l’autre un individu irréductible à une détermination quelconque, un être qui n’est pas un rouage mais une conscience qui ne se connaît pas elle-même, raisonnable mais incomplète, ouverte sur l’extérieur.

La seconde tendance, qui tire des conclusions générales et des jugements d’inquisiteur à partir d’un mot ou d’une pensée, invite à prendre les armes dès qu’un mot ou une pensée ne sont pas compatibles avec les normes libérales, comme si les mots étaient des actes, comme si les pensées étaient des actes. Cette tendance conduit à un désir de purification idéologique, religieuse de la pensée. On peut bien se l’appliquer à soi-même mais ce n’est pas une raison pour l’appliquer aux autres. Si on le fait on risque de voir en l’autre un ennemi et on risque aussi de sombrer dans la paranoïa.

Comme l’a dit le criminologue James Wilson dans le sens moral (édition Plon/Commentaire) : il faut se méfier de ce que l’on croit être parce qu’on risque de le devenir. De même faut-il se méfier de ce que l’on croit que les autres sont parce qu’ils risquent de le devenir.