Revel et l’Amérique

A propos du livre de Revel sur l’antiaméricanisme. La vérité est remise à l’endroit. Mais il y a un angle mort dans la vision de Revel. Il est vraiment dommage qu’un grand esprit comme Revel légitime à ce point tous ces fallacieux concepts collectivistes: Etats, ONU et autres illusions de ce genre. L’Amérique a fait ci, elle a fait ça…et les Américains, ils sont où? Les Etats sont-ils la Fin de l’Histoire? Jean-François REVEL est un maître de la raison classique. Pour connaître la vérité il utilise l’information comme une « expérience cruciale ». Il cultive le fait exact, l’enchaînement logique des raisons constitue un cadre explicatif étayé par les faits. J’ai toujours trouvé admirable cet art revelien qui consiste à enquêter sur la vérité des phénomènes politiques comme un scientifique ou plutôt un détective. Il connaît les canons de la logique formelle et les applique: ça fait des ravages dans le camp de la désinformation.

Antiaméricanisme pathologique et surmoi marxiste

Ainsi Revel démontre-t-il, dans son dernier livre (1) que l’anti-américanisme tel qu’on le connaît n’est qu’une tentative pour masquer les manquements politiques des Européens ou des Africains, leurs incompétences, et finalement pour éreinter le libéralisme dont les USA sont encore la terre d’accueil la plus fertile (Revel exagère en identifiant quasiment le libéralisme accompli et les USA). Quoi qu’ils fassent, les Américains sont toujours les coupables désignés. Or Revel rend justice aux USA sur bien des points. C’est un des objets du livre. Et sur tout cela on ne peut que lui donner raison.

Dans son premier chapitre Revel instruit le procès politique de l’Europe et rappelle l’évidence que « ce sont les Européens qui ont fait du XXe siècle le siècle le plus noir de l’histoire […] Ce sont eux qui ont provoqué les deux cataclysmes d’une ampleur sans précédent que furent les deux guerres mondiales ; ce sont eux qui ont inventé et réalisé les deux régimes les plus criminels jamais infligés à l’espèce humaine. Et ces sommets dans le mal et l’imbécillité, nous autres Européens les avons atteints en moins de trente ans ! »

L’antiaméricanisme pathologique s’explique aussi par ce surmoi marxiste qui parasite peu ou prou l’Européen moyen ayant subi le lavage de cerveau de l’éducation nationale (2). Les cerveaux européens, formatés par les concepts marxistes et par ses déductions pourtant erronées, poursuivent les Etats-Unis et le capitalisme d’une même haine. Ainsi l’antiaméricanisme et l’ «antimondialisation» sont-ils à comprendre comme des manifestations de l’anti-libéralisme latent et violent qui imprègne la conscience des élites européennes. Le socialisme n’a pas seulement endommagé les économies, infecté la culture, il a aussi ravagé les esprits, devenus inaptes à comprendre le capitalisme et à renoncer aux errements idéologiques du passé.

L’écolo-mondialisme : nouveau vernis néo-marxiste

Les idéologies du passé sont recyclées dans un écolo-mondialisme, nouveau vernis néo-marxiste. Epinglés par Revel, « les « jeunes » antimondialistes sont en réalité des vieillards idéologiques, des fantômes ressurgis d’un passé de ruines et de sang. En fait de « rajeunissement », on vit d’ailleurs réapparaître à Gênes des drapeaux rouges ornés de la faucille et du marteau […], des effigies de Che Guevara et le sigle des Brigades rouges. Ce que les manifestants attaquent dans la mondialisation, c’est le capitalisme démocratique, c’est l’Amérique, dans la mesure où elle est, depuis un demi-siècle au moins, la société la plus prospère et la plus créatrice ».

Dans son livre, Revel s’applique à montrer que si les Etats-Unis ne sont pas exempts de critiques (qui ne l’est pas ?) leur hégémonie résulte à la fois des fautes historiques des Européens, de l’incohérence de leurs diplomaties et surtout du fait que, contrairement aux Européens, l’Amérique a su promouvoir et profiter de l’extension du libre-échange international, au lieu de lui résister.

Les politiciens européens n’ont pas dépassé les leçons du Système national d’économie politique de Frédéric List (1841) qui enseigne que le commerce international ne pourra se développer, pour le bien-être de tous, que lorsque toutes les nations auront atteint un certain niveau de développement de leur économie et de leur système de droit social. Pour atteindre cet objectif, les nations doivent protéger le développement de leur industrie. Bref, c’est l’idée qu’il ne faut commercer librement avec les pays pauvres que lorsqu’ils auront atteint notre niveau de vie, notre niveau de développement industriel et de « protection » sociale. Et tout ce fatras est rénové aux couleurs des droits-de-l’homme bien entendu. La science économique enseigne au contraire, tout comme la logique, que l’on ne peut pas exiger des pays pauvres d’inverser l’effet et la cause : c’est le libre-échange international et le capitalisme qui leur permettra d’élever leur niveau de vie, de développer leur système de droit, et donc il est absurde de poser comme condition à l’échange libre une harmonisation préalable des « droits sociaux » entre les pays.

L’angle mort de la vision revelienne

Dans son livre, Revel remet donc un aspect de la vérité sur l’Amérique à l’endroit. Une grande partie du livre est consacrée à justifier la diplomatie américaine ou du moins à montrer l’incohérence des critiques qui lui sont faites en général. Mais il y a un angle mort dans la vision de Revel. Il est vraiment dommage qu’un grand esprit comme Revel légitime à ce point tous ces fallacieux concepts collectivistes que sont l’Etat et ces autres entités politiques comme l’ONU. L’Amérique a fait ci, elle a fait ça, l’Europe quant à elle…Les Américains, c’est qui? Les « Européens » chez Revel désignent trop souvent les politiciens censés nous représenter. Les Etats et la démocratie pseudo-représentative sont-ils donc la Fin de l’Histoire?

Un libertarien restera insatisfait finalement après la lecture du livre. C’est qu’à aucun moment Revel ne conteste cet ordre inter-national ou plutôt inter-étatique. Au-delà de l’Etat, point de salut. A force de parler des événements mondiaux comme d’une scène où les seuls acteurs sont les Etats, où les entités politiques ont un degré de réalité supérieur à celui des individus, où les abstractions collectives (Europe, France…) jouent les premiers rôles, on finit par saper le fondement du libéralisme: la primauté de l’individu.

Revel, malheureusement, n’est pas capable de penser la société dépolitisée; l’idée que la démocratie attente par nature au Droit ne l’effleure jamais. Dans le monde des Etats désincarnés, sans individus, Revel a raison. Mais dans le monde des hommes, l’Etat est coupable par nature, il cause les guerres et les famines, il est une agression permanente du Droit même en période de paix. Dans ce monde-là, l’Etat américain est un criminel qui fait souvent du bien, disons plus que les autres, en protégeant un peu mieux que les autres les droits de propriété. Aussi est-il navrant de constater que l’horizon de l’histoire pour Revel, c’est un Etat européen pseudo-fédéral (en fait nécessairement centralisé) et un Etat mondial fondé sur les valeurs occidentales. Prions pour que les libéraux soient plus nombreux que les fascistes verts et rouges !

J’aime les Américains et l’Amérique, sanctuaire de la tradition de la liberté et du capitalisme, mais je n’aime pas son Etat, véritable menace pour la liberté des Américains eux-mêmes. Revel n’accorderait pas beaucoup de pertinence à ma déclaration. Voilà peut-être ce qui sépare un « démocrate libéral » d’un libéral cohérent.
(1) Jean-François Revel, L’obsession anti-américaine, son fonctionnement, ses causes, ses inconséquences, Plon, 2002

(2) voir à ce sujet les commentaires d’un « écolier » sur ce site http://liberte.free.fr/article.php?aid=226