La liberté de rouler

Il est question de franchir une nouvelle étape dans la surveillance en continu du « citoyen ». Boîtes noires et « tickets mouchards » pour des criminels sans victimes. « Les mouchards à temps plein ont acquis un statut formel: on les appelle fonctionnaires » écrivait Pierre Lemieux dans un article qui dénonçait l’institutionnalisation de la délation comme corrélat du fascisme sanitaire que nous subissons toujours davantage (QL N°96, Economie du mouchardage). Mais depuis que le gouvernement Raffarin a fait de la lutte contre l’insécurité un passe-Droit et un passe-partout, l’économie du mouchardage a pris un tour inquiétant. En effet, et j’y reviendrai, la surveillance en continu des citoyens va s’accentuer. La punition des « crimes sans victimes » est plus que jamais la recette des technocrates pour planifier une « société meilleure ».

Des routes plus meurtrières ?

Nous le savons tous : les routes de France sont parmi les plus meurtrières. Les journaux télévisés n’en finissent pas d’égrener les morts. Les médias, qui nous offrent chaque jour leur « réalité » fictive (voir à ce sujet «BIAS: COMMENT LES MÉDIAS DÉFORMENT LA RÉALITÉ » de Gilles Guénette QL N°106)(2), ne nous épargnent jamais le rituel macabre d’une comptabilité des morts de la route à l’occasion des départs et des retours de vacances, les fameux « chassés croisés » objet de l’attention paternaliste de Big Brother, rebaptisé pour l’occasion : « bison futé ». Cette comptabilité est fallacieuse : le bon critère serait de mesurer le nombre d’accidents par kilomètre parcouru. Or ce nombre diminue comme le montre Pascal Salin (Chapitre 13 de « libéralisme », Odile Jacob, 2000)

Mais enfin ! Ne faut-il pas que le gouvernement et les médias à sa botte « fassent quelque chose » ? « Du moment que c’est pour éviter des morts, c’est très bien » acquiesce benoîtement une mère de famille réagissant à chaud au micro tendu par un journaliste en service commandé. La brave dame ne pouvait que répondre de manière irréfléchie, prise au piège du micro-trottoire, cet outil de propagande des médias.

Individus statistiques et crimes sans victimes

Pour l’Etat notre berger, il convient d’abord d’inventer de nouveaux concepts car le pouvoir impose la forme que doit avoir à la réalité en inventant un vocabulaire (le novlangue de l’Etat) ou en détournant le sens des mots. Ainsi ce n’est pas la chose qui préexiste au mot, mais le mot qui crée la chose, ceci en bonne logique totalitaire (d’où la criminalisation des mots et de l’expression des pensées déviantes par l’Etat car, selon cette logique les mots « créent » aussi des actes, mais c’est une autre question).

Ainsi surgissent quelques nouvelles expressions du novlangue sécuritaire destiné à criminaliser les comportements. Par exemple un automobiliste ou un motard qui roule à 160km/h sur une autoroute déserte n’est même plus un chauffard mais un « délinquant de la route », « un criminel » -les Allemands doivent se réjouir de l’existence des frontières car la vitesse n’est pas limitée sur leurs autoroutes ; quel peuple « délinquant » ! Bref, le caractère criminel n’est plus fondé objectivement par la constatation d’une agression qui exige réparation mais simplement sur le principe que « la vitesse tue ».

La vitesse tue ? Admettons un instant cette hypothèse. Mais à partir de quelle valeur ? L’Assemblée nationale a décrété qu’à 130km/h sur autoroute la vitesse ne tue pas mais par contre à 131 km/h l’automobiliste, quelles que soient les conditions réelles de la circulation, devenait un délinquant et un criminel en puissance (en réalité on accorde une marge de 10% environ, par « mansuétude » et surtout à cause des incertitudes de la mesure par les radars). Les critères objectifs de la criminalité ont été effacés au profit de critères purement administratifs, fondés sur des statistiques et sur le postulat que les usagers des routes forment un troupeau de bestiaux irresponsables. On ne juge plus des actes individuels, on gère une masse de têtes de bétail. Pour l’Etat, les individus n’ont qu’une existence statistique. En gérant les individus comme des statistiques, les hommes de l’Etat accomplissent la logique du collectivisme, la responsabilité personnelle s’efface au profit d’une responsabilité collective et génère l’injustice et la mentalité d’esclave.

Boîtes noires et tickets mouchards

La nature de l’action d’un gouvernement peut se décrire de la manière suivante. Son action est toujours constructiviste. Si l’objectif est de diminuer statistiquement un phénomène, le gouvernement agit sur un des facteurs. Il fait donc voter une « loi » purement discrétionnaire pour manipuler les comportements et façonner le monde à l’aune de ses valeurs. En général, le gouvernement ne maîtrise pas les effets secondaires, souvent plus graves que le mal et qui nécessitent une nouvelle intervention de l’Etat. Mais un épais brouillard pèse sur les véritables causes de ces interventions : ce n’est pas le problème identifié (les morts sur les autoroutes) mais les interventions précédentes de l’Etat et surtout la substitution de la législation au Droit.

Le Droit, c’est les droits de propriété. La législation, c’est le caprice gouvernemental. Toute atteinte au Droit par la législation engendre un peu plus d’irresponsabilité, d’injustice, d’inefficacité et conduit finalement au totalitarisme. Voyons cela avec la dernière trouvaille des étatistes placés sous la houlette de Raffarin.

Cette idée à faire pâlir d’envie les anciens soviétiques consiste à installer par la force des baïonnettes (comprenez la législation à laquelle nul ne peut légalement échapper mais qui n’est pas consentie pour autant) une boîte noire dans votre propriété, votre voiture (mais l’installation indolore se fera dans les ateliers du constructeur, c’est comme les impôts à la source !). Idée connexe : « les « tickets mouchards » indiquant le temps écoulé entre deux péages : le ticket préciserait si la distance a été parcourue à plus de 130 km/h et permettrait de verbaliser immédiatement l’automobiliste. »(1)

Ce n’est pas l’idée en soi qui est critiquable, c’est son caractère coercitif. Il n’y a pas de moyens d’échapper à cette surveillance d’Etat car les autres solutions qui auraient pu être expérimentées sur un hypothétique marché libre du réseau routier sont de fait interdites. La mère de famille peut dire : « du moment que c’est pour diminuer le nombre de morts sur les routes, c’est bien ». Et qui ne raisonnera pas ainsi ? D’un côté des morts, de l’autre une contrainte minime.

Assurances libres ou réglementation ?

Ce que je mets en cause c’est la prémisse de ce raisonnement à savoir que l’Etat serait en droit d’imposer ses solutions pour résoudre les problèmes liés aux comportements dangereux de certains automobilistes. A quoi il faut répondre, d’une part, que toute loi qui outrepasse la conservation des droits de propriété et le respect des contrats place les citoyens dans un état de servitude et d’esclavage. En effet le législateur qui oblige, de manière non contractuelle (pléonasme !), les gens à adopter un comportement particulier ou à agir d’une certaine manière déclare implicitement un droit de propriété sur eux. Esclavage !

D’autre part, en plus de la coercition, le seul moyen de savoir quelle est la meilleure solution au problème de la « délinquance routière » est de responsabiliser les automobilistes par le moyen des contrats d’assurance : une solution de marché libre qui, si elle avait été permise plus tôt, n’aurait pas laisser émerger « l’insécurité routière », insécurité à mettre au compte de l’action étatique encore une fois.

Certaines compagnies d’assurance peuvent proposer de baisser leurs primes, dans la mesure où elles peuvent diminuer leur risque si les clients acceptent l’installation d’une boîte noire contrôlant la vitesse du véhicule en continu. Ces clients seraient par exemple des gens qui, par leur mauvaise conduite sur la route, ont causé trop d’accidents pour trouver une compagnie d’assurance qui les acceptera. Situation tout à fait réaliste, à tel point que cela a déjà été expérimenté en Allemagne. Ainsi, la solution de marché permettra la coexistence d’un grand nombre de types de contrat d’assurance qui convergeront vers une sécurité accrue sur les routes, par le simple respect mutuel des engagements contractuels, ce qui est l’intérêt « égoïste » de chacun ! Absence totale de coercition et de servitude.

Que se passe-t-il si l’Etat se mêle des contrats d’assurance ou s’il impose uniformément sa « solution » ? Par exemple si l’Etat rend l’assurance obligatoire et impose aux compagnies assurances des clauses et des tarifs sous le prétexte de « protection du consommateur » et de la « concurrence » (pure et parfaite), il est évident qu’exlosera le risque moral, c’est-à-dire l’irresponsabilité des assurés qui vont consommer du risque comme on consomme des petits pois (voir la surconsommation des services de santé engendrée par la sécu). C’est probablement ce risque moral, dû à l’ingérence de l’Etat dans la mécanique de précision des assurances, qui est responsable de cette insécurité routière devenue cause nationale depuis 20 ans.

Il n’est pas besoin de chercher bien loin pourquoi les morts s’amoncellent sur les routes de France. Le soupçon naît de la corrélation entre la montée continue de l’étatisme et l’explosion du risque moral dans tous les espaces publics « sécurisés » par l’Etat. Quant à la démonstration, je pense en avoir donné un aperçu. En complément je renvoie le lecteur à l’excellent ouvrage de Pascal Salin: libéralisme, chapitre 13, la liberté de rouler.

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(1) Le gouvernement décide la création d’une police dédiée à la sécurité routière, Pascal Ceaux et Sylvia Zappi, article paru dans le monde du 23/7

(2)QL: www.quebecoislibre.org