Joyeux Halloween

Un « collectif anti-Halloween » vient de se créer. Les religieux n’acceptent pas la concurrence, même pacifique. C’est que, voyez-vous, Halloween propage une « culture de la mort ». En plus cette fête a le malheur d’être compatible avec le commerce. Il est vrai que la Toussaint, ça ne fait pas vendre. Sauf des chrysanthèmes. Les églises sont désertées, c’est la faute au capitalisme et sa chrématistique. Alors qu’on nous rebat les oreilles sur la guerre des civilisations, voici tout à coup que des failles apparaissent dans la civilisation occidentale. Les réflexes pavloviens anti-américains et anticapitalistes sont de retour dans notre bonne France.

C’est que la « guerre pour la civilisation » est multiforme. On veut bien théoriser l’union sacrée avec les Américains et les « anglo-saxons » lorsqu’il s’agit de combattre la barbarie islamiste mais nous refusons la culture mercantile, « la marchandisation du monde », et, par dessus tout, nous refusons que le libre commerce introduise subrepticement « la culture de mort » véhiculée par la fête d’Halloween. Non ! En France Halloween ne passera pas ! C’est du moins la mission que s’est fixé un « Collectif Non à Halloween » (http://cnah.ifrance.com).

Ces bons chrétiens qui sonnent le tocsin argumentent en diabolisant le commerce et le profit qui seraient responsables de l’introduction d’une fête païenne en terre chrétienne de France (quelle blague !). Le manifeste du collectif est clair sur ce point: « Nous refusons ce conditionnement par l’image : les images ne sont pas gratuites. Elles ont un sens. Elles nourrissent le psychisme, l’imaginaire et influencent le mental. Il s’agit d’une manipulation démagogique à des fins commerciales. »

Ainsi donc, les commerçants utilisent les images et le mythe d’Halloween pour « faire du fric ». Ah nous y voilà. La civilisation du capitalisme, qui est plus parlante pour moi que la « civilisation chrétienne » ou « occidentale », est la véritable cible des anti-Halloween. L’argument classique de la chrématistique (« l’enrichissement vécu comme une fin » – on peut relire à ce sujet l’excellent livre de Jean Baechler « Le capitalisme ») nous est de nouveau servi. Mais cette fois le plat est avarié. Les chrétiens, les musulmans et les religieux de tous bords devraient se préoccuper de leur propre âme et cesser de tourmenter celle de ceux qui trouvent ailleurs que dans leurs doctrines poussiéreuses les motifs d’une vie heureuse voire empreinte de spiritualité. Les cathos et autres protestants doctrinaires pensent avoir le monopole de la vie spirituelle accomplie. La concurrence d’Halloween est dure car elle est spontanée, elle répond à la demande, qu’eux ne peuvent plus satisfaire depuis longtemps. Il ne reste plus, pour eux qu’à disqualifier cette demande, à la réduire à un conditionnement des esprits par un complot capitaliste et le tour est joué. La ficelle est tout de même un peu grosse.

L’argument ultime de l’attaque contre Halloween fait fond sur un sentiment qui relève de la pathologie française. Il est clairement exprimé par le « collectif »: « Parce qu’enfin cette  » fête « , participant de « l’américanisation » de la société française, est par dessus tout une véritable escroquerie intellectuelle, culturelle et spirituelle ». Avec ça, ils sont sûrs d’être écoutés par les politicards, d’être épargnés par les « progressistes » tels José Bové et autre Robert Hue, en passant par toute la clique des intellectuels de gauche. Car s’il y a bien une « valeur » qui structure la vie politique et intellectuelle française, c’est bien l’antiaméricanisme, au sens d’anti-libéralisme.

Au secours, donc, le calendrier liturgique est en danger. Mais chacun sait pourtant que la civilisation « chrétienne » a rendu l’âme. L’éthique chrétienne n’est rien d’autre qu’un condensé de la philosophie morale de l’antiquité grecque hautement estimable, qui, du reste, n’est pas en danger puisqu’elle est le fondement moral du capitalisme (voir La Politique du Décalogue de François Guillaumat sur le site Liberalia.com www.liberalia.com/htm/fg_decalogue.htm).

S’agissant de la spiritualité, Martin Masse (dans un mail au forum du cercle Hayek, http://groups.yahoo.com/group/cerclehayek) a parfaitement résumé la question:  » « Notre civilisation » ne se limite pas au christianisme. Si cette fête se répand ainsi, c’est sans doute parce qu’elle répond à un besoin psychologique que le catholicisme n’arrive pas à combler. À première vue, c’est une fête naïve pour les enfants qui vise à exorciser l’angoisse face à la mort ainsi que toutes sortes de peurs irrationnelles. De façon plus « spirituelle », j’y trouve prétexte, chaque année, pour réfléchir à ceux qui nous précédés depuis des temps immémoriaux, à l’héritage légué par mes ancêtres, à ma place dans ce long maillon humain. Les « saints » de l’Église me laissent au contraire tout à fait indifférent. Les cathos devraient se questionner sur la pertinence de leur enseignement aujourd’hui au lieu d’attaquer d’autres façons (qui remontent plus loin dans le temps que leurs propres pratiques) de faire face à cette réalité qu’est la mort. »

Alors joyeux Halloween à tous, et résistons à ce mouvement réactionnaire venant d’une classe ecclésiastique qui a peur de perdre définitivement son pouvoir, son capital « symbolique » et donc sa place dans une société ouverte qui lui en laisse de moins en moins.