Ca roule pour l’Etat

En France, un litre de diesel coûte plus de .70euros au litre. Ou peut-être même plus, mais j’ai la « chance » de ne pas posséder de voiture et donc la joie d’ignorer les taxes qui pèsent sur ce luxe polluant.
Certains aimeraient éviter ces taxes, et dans le même temps s’affranchir des groupes pétroliers pour leur approvisionnement, car il existe un carburant « alternatif »: l’huile de tournesol. Mal leur en a pris. La Taxe Intérieure sur les Produits Pétroliers rapporte 25 milliards d’euros à l’Etat. Comme il faut être naïf pour croire que les hommes de l’Etat puissent renoncer à un pactole si facilement acquis: à chaque déplacement, l’assujetti ne peut rien faire d’autre que de perdre près de 80% de chaque euro qu’il dépense.
Il existe bien des moyens de faire baisser la facture, mais ils ont tous cet inconvénient d’être illégaux et dangereux: vous pouvez voler le carburant, ou plus malin, utiliser le fioul domestique détaxé, qui n’est rien d’aure que du diesel auquel est ajouté un colorant rouge. Si votre voisin vous surprend à siphonner son réservoir, vous risquez des moments difficiles. Si lors d’un contrôle de police votre carburant a une teinte trop foncée, vous voilà fait, et gare au redressement fiscal qui vous attend.

Et c’est bien là le problème pour une autre solution, celle des huiles végétales brutes. Car il est techniquement possible de produire un carburant utilisable sur les diesels, à partir de végétaux…
Le principe est simple: les diesels brûlent des hydrocarbures, et comme le dit un chercheur: « Les huiles ne sont finalement que des corps hydrocarbonés, avec de l’oxygène en plus ». CQFD. Les moteurs diesel peuvent donc fonctionner avec des huiles, et d’ailleurs l’expérience historique le démontre puisque les armées coloniales utilisaient déja ce carburant à une lointaine époque où le gasoil n’était pas disponible partout.

Partant de ce constat, Alain Juste, un écologiste agenois, a décidé de faire rouler sa voiture à l’huile de tournesol. Il a acheté des presses, des filtres… et roule depuis à l’huile de tournesol! Dans son aventure, il a entraîné une centaine de personnes, et fondé une société Valenergol (Valorisation Energetique des Oléagineux).

Evidemment, l’Etat ne pouvait laisser un tel crime impuni. Pensez donc, avec 5000euros de mise de départ, on peut produire un carburant à 0.61euros (4FF) contre plus de 0.7euros pour le diesel taxé. Concurrence déloyale! Evasion fiscale! Un véritable crime contre l’Etat!

Pourtant l’Etat « encourage » les énergies renouvelables, dont font évidemment partie les huiles. L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) a pris connaissance du projet Valenergol lors d’un concours national sur la production de carburant en 1998. Résultat: un « niet » cinglant! Et pourquoi donc d’après vous ? Car l’ADEME est une annexe de l’Etat, mais même plus: car au conseil d’administration de l’ADEME siègent… Total, EDF, GDF, Rhone Poulenc…

Vous imaginez Total faisant la promotion d’un carburant que M. tout le monde peut produire ? Quand à EDF, qui fait rouler une partie de son parc à l’électricité, vous l’imaginez en train de promouvoir une énergie non-électrique, donc hors de son monopôle ? Et GDF ? Pareil: pour GDF, les voitures doivent rouler au gaz! Quand aux chimiquiers comme Rhone Poulenc, une telle huile ne les intéresse pas: où est le marché pour eux ?

Et pourtant, l’ADEME est le seul organisme producteur de rapports sur les énergies renouvelables pour l’Etat. L’Etat s’écoute parler en somme, car TotalFinaElf a toujours dans ses actionnaires l’Etat français, et EDF règne toujours sur l’électricité française, monopôle d’Etat, pas près de disparaître malgré les lois (bafouées) européennes en ce sens.

Bien sûr, le non de l’ADEME a été habillé avec des raisons techniques: les « HVB » encrasseraient les moteurs diesel à injection directe, du fait de leur viscosité importante. Un rapport de Raymond Lévy en 1993, ex-numéro deux d’Elf, faisait état de ces problèmes… mais oubliait soigneusement de consulter la thèse de Gilles Vaïtilingom sur ce sujet précis! Or il ressortait des recherches du jeune thésard que les moteurs à injection indirecte ne souffriraient en rien de l’utilisation d’huiles, quelques 10 millions de moteurs en France peuvent donc utiliser ce carburant sans craintes majeures. Et il va même plus loin en se demandant s’il n’est pas possible de l’utiliser dans les derniers moteurs diesels, où la très haute pression de l’injection annulerait peut-être les effets négatifs de la viscosité.

Mais c’était sans compter les chimiquiers et pétroliers: le rapport de Raymond Lévy préconisait donc de mélanger les huiles au gasoil, à hauteur de 5%…. au prix de quelques usines chimiques destinées à faire le mélange, et mettant donc un terme aux productions artisanales. Les agriculteurs confrontés au gel des terres ont accepté de vendre à ces usines, mais là, ils devenaient dépendants à 100% de ces usines, et des prix qu’elles voulaient bien leur consentir. Les agriculteurs se sont retrouvés pieds et poings liés avec la société créée ad hoc pour transformer les huiles en diester.

Quand à l’ADEME, elle accepte finalement de subventionner les HVB, avec un mais de taille: il faut s’engager à acheter les HVB à la Sofiprotéol, la même société qui achète les récoltes des agriculteurs, au prix de 1.2euros le litre, soit le double du prix de production!

Vous voyez donc le schéma: d’abord un discrédit pseudo-scientifique par un ex d’un groupe pétrolier, qui préconise l’utilisation de diester (utilisable il est vrai par tous les moteurs). Les agriculteurs, d’abord ravis de pouvoir remettre en culture une partie de leurs champs s’aperçoivent qu’ils ont été victimes d’un marché de dupes, car ils n’ont aucun contrôle sur leur production, n’ayant qu’un unique client. Les oléagnieux susceptibles d’être transformés en huile-carburant sont donc retirés du marché, et tout risque de prolifération de carburants artisanaux est donc éliminé. Pour les derniers résistants, l’ADEME leur propose l’huile à un prix prohibitif: plus personne ne peut donc tester les vertus (ou vices) de l’huile végétale brute.
Dans le même temps, Valenergol a fait l’objet d’une enquête des douanes et son carburant n’a pas été considéré comme un biocarburant, à l’inverse du diester. 5000 euros de redressement fiscal ont donc été infligés à Valenergol.

Encore une fois, on voit encore comment l’Etat et ses différents satellites, privés ou publics, ont pu empêcher une expérience de se dérouler. Pourtant, à en croire la thèse consacrée au sujet en 1992, il suffirait de peu d’adaptations sur les diesels actuels pour les rendre compatibles avec les huiles. Mais cela empêcherait de prélever un niveau de taxe supérieur à 0.6euros au litre, pour rester compétitif face au prix de vente des huiles, 1.2euros/litre.
Et l’Etat ne va pas laisser se tarir la manne pétrolière aussi facilement, pas plus que ses alliés EDF ou TotalFinaElf…