Faucon contre colombe

Entre libertariens (ou libéraux), nous ne sommes pas vraiment d’accord sur les positions à adopter à la suite des attentats du 11 septembre. Il y a les tenants d’une ligne dure, qui parfois abdiquent toute raison et font valoir que la sauvegarde de l’Occident vaut bien un peu d’étatisme et une bonne guerre, et les colombes qui au cri de «non à l’amalgame » plaident pour une réponseciblée des USA. Je caricature, bien sûr. Je vais donc tenter de vous donner un aperçu du débat animé qui a pris place entre libertartiens sur internet ces dernières semaines. La ligne dure a ses partisans chez nombre de ce que j’appellerais les « émotifs ». En effet, avec le choc de la terreur islamiste, beaucoup en sont venus à tenir des propos extrêmes. Par exemple la Ayn Rand Society demande dans une pétition rien de moins que la soumission immédiate de tout État soupçonné d’accointances avec les terroristes. Sinon? Eh bien sinon «L’Amérique devra infliger un châtiment exemplaire et sans équivoque, le contraire de ce qui a été fait au Viêt-Nam, sur le modèle de Hiroshima et Nagasaki ». En gros, qui s’y frotte s’y pique, si tu me cherches tu me trouves! Et avec rien de moins que le feu nucléaire! Les arguments donnés y sont clairs: l’Occident en tant que civilisation est menacé,la menace doit être éliminée totalement, ses racines éradiquées définitivement.

Au sein des faucons il y a cependant des positions plus mesurées. Conscients de l’impact d’opérations militaires sur les foules musulmanes manipulées, certains reconnaissent qu’il faut éviter d’engendrer de nouvelles « vocations » au suicide (Notez au passage que c’est une reconnaissance tacite des erreurs passées). Ainsi les méthodes aveugles de bombardement à haute altitude, les armes non-conventionnelles, ou encore le missile de croisière qu’on lance en appuyant sur un bouton semblent des réponses hautement inappropriées. D’autant plus que l’efficacité militaire est très limitée, voire nulle, alors que le coût financier est astronomique.

L’envoi de troupes, même en quantités limitées permettrait d’espérer une efficacité réelle des ressources engagées et en même temps d’éviter un carnage de civils opprimés. La finalité poursuivie par ces commandos serait bien évidemment de tuer ou de capturer les terroristes, mais plus largement de faire tomber les régimes ennemis, de faire peser une menace permanente sur les pays susceptibles de complaisance, d’assécher toutes les sources de financement des terroristes…

Sur le fond, les faucons pensent que l’islamisme est un danger suffisamment fort pour légitimer, ou tout au moins rendre supportable, une intervention des États, au-delà même de leurs frontières. L’islamisme interprète le Coran de façon à en faire une doctrine politique complète, visant à contrôler chaque aspect de la vie, enfin, ce qu’il en reste une fois retiré les femmes, les loisirs, et les 5 prières par jour. Il faut donc le dire haut et fort: l’islamisme est un dérivé totalitaire de l’Islam, réclamant la fusion des autorités politiques, culturelles et religieuses. L’économie? Comme pour les femmes, elle devra aussi être recouverte d’un drap.

Même si l’islamisme a pu être alimenté en partie par les stupidités des gouvernements occidentaux telles que le bombardement continu de l’Irak depuis 10 ans, ou par les « ventes » d’armes continues à Israël, c’est oublier un peu vite le Kosovo où une armée musulmane a largement détruit un territoire chrétien (300 monastères classés par l’UNESCO) et l’a vidé de sa population (les Serbes qui vivaient au Kosovo ont été « nettoyés »), avec l’aide militaire massive de l’OTAN. C’est oublier aussi que sans l’intervention de Bush père, puis de Clinton, Arafat ne serait pas président de l’Autorité palestinienne aujourd’hui mais serait encore résident tunisien. Israël occuperait toujours le Sud du Liban. Les talibans, ils ont été financés par la CIA en partie… Et puis l’Arabie Saoudite, où la condition des femmes est en tout point identique à celle des Afghanes, est un « allié » des USA. Alors invoquer les ingérences américaines pour justifier le terrorisme, c’est un peu juste comme explication: en fait les terroristes auraient une mémoire sélective. Et pour cause, le fondement de leur action ne se trouve pas dans une volonté de faire « payer » les États-Unis pour le sort des Palestiniens ou des Irakiens.

Non, expliquent ceux qui défendent la ligne dure, c’est bien parce que l’Occident représente l’antithèse exacte, et réussie, d’un régime islamique, qu’il doit être châtié, avec la plus grande vigueur, la plus extrême des barbaries. Parce que l’Occident est l’incarnation du Mal selon le Coran il doit être réduit à néant.

Voilà à peu près la position des faucons. Maintenant, est-elle conforme à nos idéaux de liberté? La persistance d’un état de guerre, donc d’un État pour la mener, est-elle compatible avec la poursuite de la liberté? C’est là où l’argumentaire des colombes prend toute sa dimension: la guerre contre le terrorisme peut mener à l’extinction de notre civilisation plus sûrement que celle des terroristes contre nous, en nous obligeant à abandonner nos libertés, qui fondent notre civilisation.

S’il faut en croire les faucons, il faut aussi mener une guerre d’un nouveau genre, qui passera par une collecte étendue d’informations et probablement la mise en place de règles de sécurité toujours plus strictes dans nos sociétés. Et c’est là que le bât blesse, disent les colombes. Toute guerre étend la surface des lois, de l’État, des administrations, et réduit d’autant celle de la société civile, de l’économie libre, de la confiance mutuelle. Alors avec une guerre contre un ennemi invisible, insaisissable et géographiquement non localisé, imaginez un peu ce que vont devenir « nos » États. Et imaginez la suspicion permanente, la quasi-paranoïa qu’une guerre sourde, lente, longue introduirait dans nos pays. N’est-ce pas là un danger bien plus grand encore que celui de mourir sous les coups des terroristes? L’abandon de nos valeurs fondatrices au profit d’un État surpuissant aux pouvoirs étendus, pour nous « protéger », n’est-ce pas déjà perdre ce combat des civilisations?

L’ennemi est donc d’abord intérieur, nous le connaissons bien, nous libertariens, par notre acharnement à démonter ses rouages « impersonnels » et son mode de fonctionnement.

À y regarder de plus près, avant même que les combats aient commencé, les États ont déjà mis en place des politiques irresponsables. Ce sont les États qui ont favorisé l’immigration fleuve en Europe par des politiques sociales irresponsables. En France, il y a une communauté de 5 millions de musulmans. Sans lois de regroupement familial, d’aides sociales et de permis de travail, comment ces personnes seraient-elles entrées, mais surtout restées? Résultat, il y a d’aveu même de la police des zones de « non-droit », des milliers partout en France, qui devient un gruyère sécuritaire. À quoi vont servir les RPG-7 (un bazooka anti-char soviétique) retrouvés dans certaines caves lors de descentes massives de forces de polices? Pourquoi y a-t-il des mitraillages de forces de polices à la kalashnikov? D’où proviennent les armes?

Je ne donne pas là des arguments aux faucons, pas plus que je ne pratique l’amalgame honni. Je pointe du doigt une déficience de l’État: malgré l’Omniscience et la Toute Puissance qu’on lui accorde, l’État français n’a pas vu venir les problèmes et ne sait pas comment nous en débarrasser. Si parmi les 5 millions de musulmans il y a des terroristes infiltrés, si dans les mosquées d’Argenteuil on trouve des imams irakiens et des « wahabites » (version saoudienne de l’islamisme), n’est-ce pas là la faute de l’État français? Et quid des imams payés directement par le gouvernement algérien? Je sais bien que l’État français est laïc, et en tant que libertarien, je m’en fiche pas mal, mais n’est-il pas dans ses prétendues missions que de nous protéger?

Concernant ce danger d’amalgame, couramment décrié par tous nos médias bien pensants, les colombes libertariennes répondent qu’il n’existe pas d’acte collectif. Il n’existe que des actes individuels, et exit dès lors la guerre des mondes. Au lieu de condamner d’emblée les pays soupçonnés de terrorisme, il convient de faire une enquête, délimiter les responsabilités, les engagements, les soutiens. Supposons que ben Laden soit effectivement le principal organisateur. Fini le problème du monde occidental agressé par le monde musulman: on sort du schéma collectif abstrait de la guerre de religion, d’un conflit qui nous dépasse, on lui redonne une dimension humaine. Le problème est un homme, la solution devient simple: une chasse à l’homme. Au passage, ajouterons les faucons, faisons tomber le régime des talibans qui nuit aussi bien aux populations soumises à son autorité qu’à nous-mêmes.

Les colombes nous mettent en garde du fait que la guerre est « la santé de l’État » et que celle-ci verra aussi une croissance du Léviathan. Avant même qu’il n’y ait eu riposte à ben Laden, les premières mesures économiques de Bush ont bien illustré cette excellente forme: 15 milliards de dollars sont partis des poches des contribuables, dont ceux qui ne prendront jamais l’avion, pour remplir celles des compagnies aériennes. Et déjà des projets de lois aux USA demandent que les fouilles des avions soient du ressort de l’État fédéral: 28 000 agents, 2 milliards de dollars prévus. Et il y a les « air marshalls », proposition déjà acceptée alors que les pilotes eux-mêmes demandaient à assurer la sécurité. Et c’est si simple de protéger un lieu dont il existe un seul point d’accès: une porte blindée, une arme de poing. La compagnie El Al y arrive depuis 30 ans!

Les budgets militaires? 20 milliards de dollars ont déjà été « débloqués » pour l’opération « Enduring Freedom ». Et nul doute que toutes les agences fédérales vont à leur tour demander des milliards de dollars pour accroître leur efficacité. Ne serait-il pas plus simple d’inverser la proportion entre les ronds de cuir et les agents de terrain à la CIA: 21 200 contre 800? Quant au FBI… avec son programme « Carnivore », espion glouton de l’internet, a-t-il été d’une grande utilité pour déjouer les attentats du 11 septembre? De nombreux articles analysent cette inefficacité des programmes de surveillance élargie: entre la collecte des données et le traitement, il y a en effet un fossé!

Parlons maintenant de la reconnaissance faciale. Voilà encore une belle arnaque: dans les foules la capacité à reconnaître réellement un visage est ridicule. Et les possibilités de se tromper sont par contre énorme, jusqu’à 90% (source: The Register). Vous voulez plus de restrictions de vos libertés encore? Alors en vrac: les agences fédérales pourront lire votre courrier, même encrypté (les hackers aussi, les terroristes aussi); en Angleterre, la carte d’identité va être obligatoire, avec religion et empreintes digitales (et ADN pour les criminels); aux États-Unis, Bush a plaidé pour des tribunaux militaires d’exception pour les terroristes… La liste est longue!

Face à ce débat où il est difficile de trancher entre faucons et colombes – car finalement, il faut bien punir ben Laden, mais il faut aussi nous préserver de l’État – que conclure? Comme beaucoup d’autres, je suis perplexe. En fait, si le but des terroristes est vraiment de faire tomber notre civilisation, alors il faut leur donner tort en ne tombant pas dans le piège d’une guerre totale: tuons les islamistes, ceux qui nous posent problème, mais cessons les interventions ailleurs. Et surtout, ne sombrons pas dans ce piège de l’étatisme pour nous protéger: c’est dans la liberté que s’est épanouie la civilisation occidentale, et il faut la préserver à tout prix.

Vaincre le terrorisme, c’est croire en nos valeurs. Je suis persuadé que les libertariens représentent la forme la plus proche de l’idéal occidental de paix et de liberté, et à ce titre nous devons aussi être les premiers à combattre les terroristes qui méprisent et nient nos valeurs. Il n’en va pas seulement de la vie de milliers de personnes, mais de l’avenir de notre civilisation occidentale. Je propose comme premier acte de guerre de reconstruire les tours du Worlld* Trade Center!