Gros temps pour les libertariens

Un libéral conséquent est toujours en quête de cohérence intellectuelle. Un libertarien ne peut donc pas agir comme une vulgaire parcelle d’Etat, ou un simple fragment de civilisation. Sa richesse est son esprit. Il doit donc l’utiliser en bon propriétaire privé. Dans un article fort intéressant FAUCON OU COLOMBE? UNE GUERRE SUR DEUX FRONTS ( http://www.quebecoislibre.org/010929-9.htm ) Hervé DURAY exprime avec justesse la polarisation qui apparaît à l’intérieur des divers courants de pensée, y compris chez les libertariens. Son analyse relève d’une intéressante casuistique. Nous connaissons les principes généraux: le primat de l’éthique de la liberté, l’individualisme méthodologique, la propriété inviolable de soi, le principe de non-agression et celui de légitime défense. Mais ces principes sont insuffisants à résoudre un cas de conscience comme celui de la riposte aux attentats. Certains libertariens d’obédience randienne, comme l’indique Hervé, sont prêts à coopérer avec l’Etat pour renverser tous les régimes qui subventionnent le terrorisme. Et puis il y aurait les « colombes » prônant une riposte plus proportionnée, visant les agresseurs et les donneurs d’ordre. Le terme « colombe » est d’ailleurs peut-être inadéquat, car face aux agresseurs, rares sont les libertariens qui ne défendraient pas leur droit fondamental d’intégrité physique . Un libertarien pacifiste est une contradiction. Lorsqu’on le gifle, il ne tend pas l’autre joue, en général.

Mais peut-être cette casuistique fait-elle un peu vite l’impasse sur le fait massif que nous vivons dans un monde où le pouvoir politique et l’Etat sont les principales forces qui maintiennent le monde en équilibre…instable. C’est l’équivalent de la pesanteur sur Terre. C’est à cause d’elle que nous tombons dans les précipices, c’est grâce à elle que nous collons au sol et pouvons marcher. Nous savons qu’une société sans Etat serait plus morale, plus efficace, mais lorsque nous devons agir, nous agissons dans un monde étatisé.

Au fait! S’agissant de la lutte contre le terrorisme, devons-nous agir ? Qui sommes-nous? Des politiciens? Non. Nous prônons la liberté individuelle, la propriété privée, la responsabilité. Défendons-nous s’il le faut, jusqu’au bout de la vie, mais comme des individus, pas comme des parcelles de civilisation, des fragments de l’Etat.

Les ennemis sont les agresseurs, y compris l’Etat. En tant que libertarien qui recherche la cohérence je ne me représente pas comme une « colombe » mais comme un résistant. Les questions géopolitiques, stratégiques ne m’émeuvent pas. Ce sont les Etats qui sont les acteurs. Où sont les agresseurs? Comment les combattre en se passant de l’Etat? Comment me protéger en me passant de lui? Tels sont mes problèmes.

Le libertarien n’est ni un politicien, ni un expert en géostratégie. C’est avant tout un être épris d’une éthique. Et s’il désire intervenir dans le débat public, son devoir est, me semble-t-il, de propager et de démontrer rationnellement la supériorité morale, économique et politique d’une société sans Etat, et simultanément la nocivité de l’Etat. Ce travail d’analyse peut être fait en toute sérénité, avec beaucoup de recul sur les événements. Un excellent exemple de cette attitude intellectuelle est le texte de Bertrand LEMENNICIER, « La faillite de l’Etat dans toute son ampleur » (http://www.lemennicier.com/De%20la%20guerre/World%20Trade%20Center.htm).

Lorsqu’une force destructrice des libertés structure le monde (le pouvoir politique), la stratégie de la liberté est de pilonner cette force avec les armes de la raison. Cette stratégie repose sur l’hypothèse que l’esprit humain n’est pas emprisonné dans une culture, un « Zeitgeist », une civilisation, mais qu’il peut décider d’être rationnel, de rechercher la vérité, qu’il peut être convaincu. Même si tous les chefs de tribus et leur intelligensia prétendent le contraire (je pense par exemple à Huntington).