Chronique d’une république ordinaire

Des millions d’individus ont été mis en fiches par l’Etat français pendant la IIIe République. Cette nouvelle bombe va, sans nul doute, nous réserver un plaisant exercice de casuistique pour sauver LA République. En attendant les faits sont accablants. La novlangue politique commence à se désintégrer. S’il est un mérite incontestable qu’il faut reconnaître au philosophe Karl POPPER c’est son insistance très argumentée sur l’inanité des disputes quant à l’essence des mots (cf. La quête inachevée, chap VI, Mon premier échec philosophique: le problème de l’essentialisme). On en a une illustration nouvelle avec le scandale de la mise en fiches de millions d’individus par la République française. Dans le Figaro du 7 septembre (Larépublique des fiches) nous apprenons ainsi que « La IIIe République n’a pas seulement été celle des professeurs, comme nous l’enseigne l’historiographie officielle, mais aussi celle des flics. Ce régime, qui n’a cessé de mettre en avant les droits inaliénables de la liberté individuelle, est aussi celui qui a mis en fiches 5 millions de Français et 2 millions d’étrangers, soit un habitant sur six dans un pays qui en comptait 40 millions à la veille de la Seconde Guerre mondiale. »( cf. le livre de Pierre-Jean Deschodt et François Huguenin, La République xénophobe).
Appelons donc cela une république si vous voulez, mais, une république au service des intérêts du pouvoir politique, est-ce bien cela que l’on entend par « république » ? En fait la « république » est une auberge espagnole, elle a la signification que l’on veut bien lui donner; ajoutez y l’adjectif « socialiste » et vous obtenez une tyrannie sanglante, faites la suivre de « française » et vous avez le règne de l’Etat hédoniste et le meilleur exemple du « brassage à vide » de la redistribution sous prétexte de « justice sociale » (Anthony de Jasay, L’Etat, éd les Belles Lettres, coll Laissez-faire, pp 340-364). L’essence de la « république » ne nous est pas d’un grand secours lorsque son Idée, tombant du ciel de Platon, se défigure en passant à travers le prisme de la réalité.

Cette mise en fiches des résidents de France n’est même pas le produit d’une dérive droitière et sécuritaire due à un gouvernement de gauche, comme le réflexe médiatiquement conditionné nous y convie. « Contrairement à ce que l’on pourrait croire, lit-on dans le Figaro, les plus acharnés n’ont pas été les gouvernements de droite, mais bien la gauche, qui a été au pouvoir pendant dix-sept ans au cours de cette période. Ce sont Edouard Herriot, Albert Sarraut, Camille Chautemps, membres éminents du radicalisme, et le socialiste Max Dormoy qui ont fait voter les lois les plus dures à l’encontre des étrangers, qui ont fait prendre les circulaires les plus discriminatoires visant à contrôler les flux migratoires, qui ont mis en place la carte d’identité, la loi des suspects, les camps pour réfugiés, bref ce que nos auteurs appellent la «matrice» du discours et de la pratique vichyste. Même le Front populaire, malgré quelques timides mesures humanitaires et en dépit de professions de foi préélectorales, a contribué à aggraver le sort des étrangers. »
Il semblerait donc qu’un accident de l’histoire ait quelque peu déformé la belle Idée de la République. Et cet accident pourrait bien être le jacobinisme dont on sait qu’il n’est plus ni de droite, ni de gauche. « Au nom d’une idéologie jacobine qui privilégie l’adhésion totale des individus au modèle républicain français, on a fermé la porte aux juifs allemands et aux réfugiés espagnols de la guerre civile, les renvoyant dans les camps nazis ou les geôles franquistes. Et on finit même par «dénationaliser» ceux qui ont reçu la citoyenneté française! » (Le Figaro).

Alors au moment où débute la campagne des Présidentielles c’est une bonne partie de rigolade qui nous attend avec pour règle du jeu: variations à l’infini sur le thème de la « république ». Le mot est à la mode mais cette mauvaise nouvelle des fiches pourrait bien ternir son image comme le souligne l’article du Figaro. « A l’heure où certains candidats à la présidentielle choisissent la posture républicaine, il est permis de s’interroger sur le contenu que ces derniers donnent à cette République. Sans doute à la lecture de ce livre seront-ils tentés de répondre qu’il y a deux IIIe République – comme jadis on parlait de deux Révolution (avant et après la Terreur) -, celle d’avant 1914 et celle qui serait née de la Première Guerre mondiale? »

Quel que soit le régime politique que l’on a, l’ennemi de l’individu est en soi le pouvoir politique et l’Etat (cf Liberalisme de Pascal Salin, dernier chapitre). Certains, comme les libéraux conséquents, l’ont bien compris. La « chose publique » c’est la liberté individuelle, le règne du Droit c’est-à-dire de l’absence d’agression. C’est « ma » conception de la république. Mais mieux vaut se passer de ce concept abstrait de nature collectiviste. Il a fait vendre, mais on peut espérer que ces récentes nouvelles sur la « république réelle » rendront la vente un peu plus difficile.