La révolution du droit s’étend jusqu’aux institutions mondiales. La « discrimination positive » devient la norme du droit positif et apparaît comme l’arme fatale d’un Etat mondial redistributeur, pour lequel les droits individuels n’existeront plus que comme sous-produits des faux droits collectifs, des « droits » des groupes. La conférence de Durban devait plancher sur le principe d’une réparation de l’esclavagisme. Le prétexte de l’assimilation du sionisme à du racisme a permis aux Américains de claquer la porte de la conférence. On ne peut que s’en réjouir car cette « réparation » repose sur des principes collectivistes, communautaristes et attentatoires au principe libéral d’égalité des individus devant le Droit sans distinction de race.
Comme l’indique le journal Le Monde du 30 août, le fond de l’affaire est la bataille philosophique relative à la discrimination positive: « M. Kennedy estime que le débat sur les réparations ne fait que commencer, aux Etats-Unis, et qu’il naît de la remise en question de l' »affirmative action », cette politique consistant à compenser par des dispositions spécifiques l’inégalité des chances liée à l’origine ethnique. » On ne saurait mieux évaluer l’enjeu de ces Conférences onusiennes où l’antiracisme a pour fonction véritable d’imposer à l’ensemble de la planète une conception du droit pour le moins dangereuse puisqu’elle réduit l’identité d’un individu à son appartenance à un groupe social: les femmes, les noirs, les homosexuels et en fait toutes les « victimes » de l’histoire.
Fidèle à la méthode de Pascal Salin, je vais tenter de mettre un peu d’ordre dans les concepts. Or on peut repérer une relation logique, systématique, entre une certaine conception de la démocratie, le « désir de reconnaissance » des « communautés », l’égalité des chances et la discrimination positive. Le fait est que ce système a pour conséquence inéluctable l’organisation du collectivisme au niveau mondial, et à terme, un Etat mondial coercitif (socialiste).
Dans un ouvrage de référence et de facture hégélienne, Multiculturalisme, Charles Taylor, philosophe canadien, décrit de manière remarquable les fondements théoriques de « l’affirmative action ». D’abord Kant posa avec autorité et solennité « l’égale dignité » des tous les hommes. Mais pour Kant cette dignité était tout entière située dans la nature raisonnable, immuable, de l’homme et dans ses facultés morales a priori. Chaque individu est une fin en soi. Ainsi le droit devait être aveugle aux différences entre les individus. Avec Hegel, l’individu n’est plus que le sous produit d’une Histoire dont la substance n’est autre qu’un Esprit absolu qui se concrétise par un processus dialectique. Les individus sont ravalés au rang de fragments de cette Raison incarnée dans l’ Histoire divinisée. Leur substance est historique. La « dignité de l’homme » n’est plus un fait mais un combat, un « désir de reconnaissance ». L’individu ne veut pas être reconnu en tant qu’abstraction mais en tant que personne dotée d’une identité définie par son appartenance à un groupe social et par toutes sortes d’autres marques d’ unicité. L’ « égale dignité » devient alors l’enjeu d’un champ de bataille social. Et le « progressisme » de la gauche est ancré dans cette vision Hégélienne de l’individu.
La discrimination positive n’est que la traduction de cette conception hégélienne de l’individu historique, incomplet, défini par son histoire et celle de ses ancêtres. Un préjudice causé à ses ancêtres devient le motif d’un droit de « réparation », l’argument d’une différence de droit pour revenir à un état où le droit pourra de nouveau être neutre. Mais en attendant, il faut rendre aux personnes leur dignité en réparant leur préjudice historique.
Soit dit en passant, il ne faudrait pas confondre « réparation » à des victimes par une indemnisation et discrimination positive, comme le fait Le Monde: « L’idée d’une législation comparable à celle qui a indemnisé les Américains d’origine japonaise enfermés dans des camps pendant la seconde guerre mondiale lui [un think tank afro-américain] paraît inconcevable dans l’Amérique d’aujourd’hui. » La discrimination positive vise à créer une différence des droits au profit de certains groupes, pour corriger des préjudices passés. Elle n’a rien à voir avec une indemnisation ponctuelle de victimes d’agressions.
Le danger est grand cependant, outre l’insulte à l’égalité devant le droit chère aux libéraux. D’abord les individus n’existent plus qu’en tant qu’ils appartiennent à un groupe social. Ensuite, la discrimination positive conduit logiquement à l’expropriation d’un ou plusieurs groupes au profit d’un autre. Les décisions sont prises par une clique de politiciens auxquels les électeurs ont signé un chèque en blanc et qui cèdent aux groupes de pression familiers du terrorisme intellectuel, et manipulant les consciences par la guerre des mots (le politiquement correct). La tyrannie des minorités majoritaires (eh oui!, à cause du processus de marchandage) sera redoutable. Cette philosophie de la discrimination positive est aussi un bon argument pour étendre le pouvoir de l’Etat mondial, dont le moteur est la politique de redistribution des biens et des droits.
Comme cela était prévisible, les politiciens, toujours soucieux d’adopter les idées des clientèles les plus influentes, après avoir accepté le principe de la taxe Tobin, sont désormais prêts à faire leur révolution culturelle. La discrimination positive, ça marche, donc elle est juste, pour paraphraser le relativiste Feyerabend: « tout est bon ». Pour les politiciens, la démocratie n’est que le moyen de faire coïncider leurs intérêts avec leurs idées, et celles-ci avec la « justice » de la majorité.