Un Projet de loi pour l' »Ã©galité des chances », n° 2787, a été déposé le 11 janvier 2006 sur le bureau de l’Assemblée Nationale et renvoyé à la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales. La Commission saisie au fond a nommé M. Laurent Hénart rapporteur le 17 janvier 2006. Son Rapport n° 2825 a été déposé le 25 janvier 2006. Et la discussion du projet vient de commencer.
Une législation de même esprit avait été mise en place en 1975 au Canada et à partir de 1963 aux Etats-Unis.(1)
Au milieu d’un fatras de considérations hétéroclites, fondamentalement non juridiques, il est question en particulier dans le projet de loi de:
Articles 16, 17 et 18
Création et mode de fonctionnement de l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances.
Articles 19 et 20
Extension des pouvoirs de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE).
Article 21
Possibilité d’avoir recours au « testing » pour prouver un acte de discrimination en matière pénale.
Et les pouvoirs concédés par le projet de loi à la HALDE ne peuvent que faire frémir. Toutes proportions gardées, ils rappellent ceux concédés en 1945 à l’organisation de la sécurité sociale.
Il n’empêche qu’il ne faut pas perdre de vue le fond de la démarche qui est l’acclimatation progressive à la France d’un certain infradéterminisme réglementaire.
Après le prétendu principe de précaution, voici donc l' »Ã©galité des chances » sur quoi végète le projet de loi, en attendant, selon toute vraisemblance, un projet de loi sur la « discrimination positive » à grande échelle.
«100% des gagnants du loto avaient acheté au moins un billet». Slogan bien connu, pub du Loto, mais aussi façon d’introduire l’expression pernicieuse française dÂ’ »Ã©galité des chances » car la chance est-elle en relation avec le gain (toucher le gros lot) ou avec la démarche (avoir la capacité d’acheter le billet) ? Egalité des chances : chacun peut toucher le gros lot ou chacun peut acheter le billet ?
En anglais, il y a vingt cinq ans, aux Etats-Unis ou au Canada anglophone, on parlait de « equal opportunity » (et on faisait ainsi référence à la démarche), il n’y avait pas d’ambiguïté. Et cette notion allait de pair avec l' »affirmative action » (ce qu’on dénomme en France aujourd’hui « discrimination positive »). Mais on n’avait pas mis le doigt sur le prétendu principe de précaution, invention française.
Bref, avec vingt cinq ans de retard sur la pensée unique des Etats-Unis (dénoncée dès 1965 par Ayn Rand) ou du Canada, l’égalité des chances est un concept-clé de la pensée unique comme l’a développé Jacques Garello dans La Nouvelle Lettre du 14 janvier 2006.
Mais l’important à remarquer est aussi que, dans tous les cas, tout est déterminé dans le jeu à quoi donne lieu l’égalité des chances. En particulier, et implicitement, les êtres humains sont envisagés comme des éléments d’une société que ceux qui véhiculent la notion prétendent connaître dans les moindres détails, en termes de gains ou d’occasions.
Egalité des chances dans le jeu ? Encore faut-il que le jeu ne soit pas interrompu en cours de partie. Mais l’interruption est un problème sur quoi Blaise Pascal s’est penché au XVIIè siècle et à quoi il a donné des méthodes de résolution. On reste dans le déterminisme.
Encore faut-il que le jeu ne connaisse pas d’autres issues que son « bon » fonctionnement ou son interruption. Il en sera ainsi si l’ensemble de règles – qu’en définitive recouvre la dénomination « jeu » – est connu avec certitude par les joueurs et n’est pas susceptible de changer ; dans ce cas, ceux-ci savent qu’ils jouent au même jeu. On est toujours dans le déterminisme.
Si les règles sont mal connues des joueurs, si ceux-ci les ignorent en partie et confondent par exemple une découverte de règle avec un changement de l’ensemble, une issue inattendue pourra survenir. Et cette absence d’attente exclut de parler d’une façon entendue des chances et a fortiori de les comparer et de dire leur égalité. LÂ’expression « égalité des chances » n’a plus de sens.
L’action quotidienne de l’être humain, sa vie en société est peut-être analogue à un jeu avec ses semblables, comme certains l’imaginent depuis l’émergence de la « théorie des jeux » dans la décennie 1945. Mais le jeu que l’individu A joue avec ses semblables est différent du jeu que joue l’individu B avec ses semblables à cause de l’ignorance de chacun (en particulier l’ignorance sur les règles) et parce que les règles lui donnent l’impression de n’être pas les mêmes en permanence.
Dans ce « jeu » non déterministe, libéral, qu’est la « vie en société », l’égalité des chances est donc l' »expression sans signification » signalée plus haut Â… sauf à ce que ceux qui l’emploient veuillent réduire par la contrainte le libre arbitre de chacun au point d’empêcher l’inattendu de se réaliser, sauf à ce qu’ils veuillent transformer la vie en société en « jeu d’argent balisé par leurs soins », transformant l' »Etat providence » en « Etat croupier ». Dans cette perspective, et à supposer qu’ils réussissent dans leur entreprise d’infradéterminisme réglementaire, l’expression acquérra la signification déterministe. Et la démarche suivie sera logique car elle ne fera que renforcer l’infradéterminisme réglementaire enclenché avec l’instauration du prétendu principe de précaution. Et le troisième élément à en attendre sera la généralisation de la « discrimination positive ».
Mais l’entreprise ne pourra qu’échouer.
Pour autant qu’elle est en route, faisons en sorte que son coût soit le plus faible possible en informant et en expliquant.
(1) Ouvrage très intéressant sur la question : Block, W.E. et Walker, M.A. (1982), « Discrimination, Affirmative Action, and Equal Opportunity (An Economic and Social Perspective) », The Fraser Institute, Vancouver (Colombie britannique, Canada).
« Tenez, cher contradicteur, j’ai un cas réel. Un CV parfaitement adapté : toutes les qualifications requises et une expérience ad hoc, sous réserve des vérifications usuelles. Mais c’est une femme. Or, dans l’équipe à manager, il y a quelques ouvriers efficaces mais atrocement machistes. Clash assuré. Que faire ? »
Si elle est capable de s’adapter à cette situation et si le management est prêt à la soutenir: go ahead ca passera.
« Mais les constructivistes à la Richard M. ne peuvent pas en faire autant et jamais ils ne répondront sur ce point. »
Mike, la réaction de l’état c’est la réaction d’un groupe d’hommes organisés et détenteurs d’autorité. Ni plus ni moins.
« C’est un peu comme si eux étaient sur les cases noires d’un damier et nous sur les cases blanches. »
Quelle vision ! IMHO le damier est plus un continuum qui oscille entre gris clair et gris foncé.
« Deux mondes qui ne rencontrent jamais: celui des pragmatico-psychologico-socialistes d’une part, celui des rationnalistes de l’autre. »
Vous reste t’il encore, dans votre besace, beaucoup de qualificatifs péjoratifs à mon endroit ?
Je suis d’accord sur un point : la candidate n’a aucun tort dans l’affaire. Mais elle n’a non plus aucun droit sur le poste.
Virer les machos ! Ben allons donc ! Vu leur ancienneté, ça va coûter un max. Et puis ils ne sont pas mauvais, même plutôt bons dans leur partie. Et puis aussi, à leur âge, quelle est leur probabilité de retrouver un emploi ? Voilà un conseil bien léger.
Et typiquement socialiste en plus : l’idée vaut plus que l’homme. En général ça finit mal quand on pousse cette logique à fond, méthode habituelle pour éprouver la solidité de quelque chose.
Heureusement que le recruteur, qui est une femme aussi, est plus modérée. Pour le moment on s’oriente vers un calcul des + et des – de l’affaire. Je pense que l’idéologie n’aura guère de part dans la décision, n’en déplaise à la HALDE et à ses zélotes du MRAP, de la LDH, d’ACT’UP et d’autres mouvements « progressistes ».
« Mais elle n’a non plus aucun droit sur le poste. »
Ou ai je dit que la candidate avait un droit sur le poste ?
« Virer les machos ! Ben allons donc ! Vu leur ancienneté, ça va coûter un max. Et puis ils ne sont pas mauvais, même plutôt bons dans leur partie. Et puis aussi, à leur âge, quelle est leur probabilité de retrouver un emploi ? Voilà un conseil bien léger. »
Ou ai je dit qu’il fallait virer les employés ? Relisez moi.
« Et typiquement socialiste en plus : l’idée vaut plus que l’homme. En général ça finit mal quand on pousse cette logique à fond, méthode habituelle pour éprouver la solidité de quelque chose. »
J’ai dit: « si X et si Y alors Go Ahead ca passera ». Je pense à l’adaptation naturelle des individusÂ… mais bon, vous faites ce que vous voulez.
Quand au calcul des plus et des moins, je crois qu’il est difficile d’être impartial dans ce type d’exercice. Du moins d’après ce que j’en sait, certains facteurs sont évincés au profit d’autres plus en faveur d’un consensus mou.
Bien sûr, virer les ouvriers était un conseil bien léger, et pas sérieux. C’était une forme de provocation pour souligner le fait que c’est, visiblement, de leur côté que se situe le problème, et donc de leur côté qu’il faudrait demander un effort, c’est tout.
C’est fort simple de se contenter d’un « moi je voudrais bien engager cette femme, mais c’est mes ouvriers qui ne vont pas être contents. Et ça je ne peux rien faire. » Comme je l’ai dit, ce serait bien la première fois ici que je verrai un propriétaire abdiquer de son droit devant les salariés.
« l’idée vaut plus que l’homme »
C’est justement ce que je reproche aux libéraux de ce forum: le fait que leur idée (le droit inaltérable, inébranlable, indiscutable, absolu, axiomatique à la propriété privée) est visiblement, pour eux, d’une plus grande valeur qu’un quelconque pragmatisme qui voudrait modérer ce droit pour, dans certaines situations, faire un peu de place à l’homme.
« Je pense que l’idéologie n’aura guère de part dans la décision » : puisque bien entendu, le droit de propriété n’est pas une idéologie, et le libéralisme non plus…
D’une plus grande valeur qu’un « quelconque pragmatisme », en effet!!! Mais pas d’une plus grande valeur que l’homme lui-même. Le libéralisme que nous défendons ici a justement pour objet de souligner qu’en aucun cas, on ne peut violer les droits inalinables de l’homme, et surtout pas au nom d’un « quelconque pragmatisme ». C’est bien cela, mettre l’homme au dessus de l’idéologie.
« Modérer les droits de l’homme » pour lui « faire un peu de place », quelle belle expression stalinienne capable de justifier tous les abus.
Violer la propriété légitime, contraindre les gens à faire ce qu’ils ne veulent pas faire, règlementer leur vie, voilà selon Patrick le moyen de « faire un peu de place à l’homme ». Voilà le moyen d’être « pragmatique ».
Quel cynisme insupportable.
Vous en revenez toujours au même point: les DROITS priment sur les humains qui sont derrière.
Prenons un exemple concret, qui m’est arrivé.
Selon vous (je n’affirme pas que c’est vous en particulier qui a écrit cette phrase, mais je l’ai lue à plusieurs reprises sur ce forum, et elle me semble donc bien refléter un avis largement partagé), les droits de propriété sont inaliénables, et sauver une vie humaine ne justifie pas la violation de ces droits. Par exemple, on ne peut pas me priver de mon pain sous prétexte que mon voisin meurt de faim.
Voici mon cas concret: un homme tombe par une fenêtre de son immeuble, et atterit dans le jardin d’un voisin, qui n’est pas chez lui. C’est une situation d’urgence, l’homme est au moins blessé, peut-être mort, les pompiers arrivent très vite, mais le seul accès possible vers le jardin où se trouve l’homme, c’est de passer par la maison du voisin. Ni une ni deux, ils violent allègrement son droit de propriété inaliénable, défoncent la porte de sa maison, passent à travers sans prendre garde au beau parquet, déboulent dans le jardin et sauvent l’homme en question (ce n’était pas moi, cela dit, si vous pensez que cela peut obscurcir mon jugement).
Et bien, pour ma part, j’estime que cette violation de la propriété était pragmatique, et bienvenue.
Qu’auriez-vous pensé de pompiers qui seraient restés devant la porte en disant: « non, on ne peut pas entrer, les droits de propriété sont inaliénables, le pragmatisme est un socialisme. » ? Pour ma part, j’estime que ces pompiers-là auraient fait passer l’idée avant l’homme.
Qu’auriez-vous pensé d’un voisin qui, ayant été dans sa maison, l’aurait barricadée et empêché les pompiers de passer sous prétexte de protéger l’inviolable droit à sa propriété, l’inaltérable droit à interdire ou autoriser l’accès de quiconque à sa propriété?
Pour ma part, j’estime que ce voisin aurait fait preuve de beaucoup de dogmatisme, et / ou d’un cynisme insupportable.
Bien sûr, le voisin en question a été dédommagé, et bien sûr, comme il n’était pas enfoncé dans un dogmatisme aveugle, comme il n’était pas d’un cynisme absolu, il a considéré comme parfaitement normal de voir sa porte défoncée et sa propriété violée, puisqu’il s’agissait de sauver la vie d’un homme, et qu’il n’y avait pas d’autre solution pour cela.
Cher Patrick,
Votre post est à mes yeux particulièrement intéressant et je vais donc tenter d’y répondre de manière constructive.
Vous gagneriez beaucoup à lire L’Ethique de la liberté de Rothbard (également « la vertu d’égoïsme » dÂ’Ayn Rand), car il consacre tout un chapître au genre de cas que vous exposez. Ne croyez pas que les libéraux passent à côté de ce type de problèmes. Si vous les lisez un jour, vous constaterez qu’ils vont bien au-delà de toutes les objections que vous pouvez imaginer.
Vous pouvez également lire ce que Lemennicier appelle le « sophisme de l’accident » (http://lemennicier.bwm-mediasoft.com/article.php?ID=33&limba=fr)
En fait, vous avez vous-même donné la réponse à votre propre objection:
« Et bien, pour ma part, j’estime que cette violation de la propriété était pragmatique, et bienvenue. »
La réponse, là voici:
» Bien sûr, le voisin en question a été dédommagé, et bien sûr, (…) il a considéré comme parfaitement normal de voir sa porte défoncée et sa propriété violée, puisqu’il s’agissait de sauver la vie d’un homme (…) « .
Vous le dites vous-même, le voisin tolère finalement l’intrusion des pompiers chez lui. Par conséquent, et c’est le point important, sa propriété n’est pas violée. Et même s’il a pu être choqué sur le moment, il pardonne par la suite. Donc, en l’espèce, il n’y a aucun problème. L’important est de comprendre que dans ce type de cas, la plupart des gens pour ne pas dire tous, accepteront les intrusions brusques dans leur propriété. Dans les cas restant, rarissimes, si vraiment une personne refuse une aide peu coûteuse pour en sortir une autre de situations dramatiques, il faut s’interroger : avons-nous affaire à un monstre ou y a-t-il, au fond, une bonne raison à ce refus ? Et si la semaine passée l’homme tombé avait cherché à assassiner son voisin et ses enfants, cela ne vous amènerait-il pas à être plus indulgent face à son éventuel refus de coopérer ?
Le Droit est ce qu’il est. Et en effet, quel que soit le cas de figure, on n’a pas le DROIT de violer la propriété légitime. C’est une définition. Cette définition ne cesse donc pas d’être valide dans les cas extrêmes.
Mais ces cas extrêmes sont tellement rares en pratique, contrairement à ce qu’on peut penser a priori, qu’il n’est absolument pas rationnel de leur accorder l’importance qu’ils n’ont pas.
Néanmoins, ces cas peuvent se produire. Murray Rothbard prend l’exemple beaucoup plus épineux d’une poutre flottante à laquelle des naufragés essayent de s’aggriper mais qui ne peut supporter qu’une personne. La poutre est abandonnée, et selon la règle de droit, devient donc la propriété du meilleur nageur, celui qui en fera usage le premier. A-t-il le droit de repousser ceux qui arriveront après lui ? Oui. Les autres ont-ils le droit de tenter de lui prendre la poutre ? Non. Cela ne veut pas dire qu’ils n’essayeront pas, évidemment. Il est probable qu’en cas de jugement, ils bénéficieront de circonstances atténuantes et qu’on leur pardonnera volontiers. On a le droit de pardonner, aussi (contrairement à ce qui se passe dans le système judiciaire actuel, ou les victimes n’ont, la plupart du temps, pas le pouvoir de pardonner).
Ce n’est pas le Droit qui est inhumain, mais les situations extrêmes de survie que l’on choisit comme exemple et que l’on veut ériger en cas d’école. Mais ce sont au contraire des cas marginaux.
Dans les cas de situation extrême véritable, en fait, il n’y a pas de solution « humaine ». Le Droit libéral est souvent moins inhumain que le pragmatisme, car il est moins arbitraire et moins soumis à la passion.
Et la science économique nous apprend que dans la plupart des cas de situation extrême, la violation des droits de propriété aboutit à une aggravation de la catastrophe.
Par exemple, il y a en ce moment 100 millions (je dis n’importe quoi) d’enfants sous alimentés. Faut-il lever immédiatement un impôt mondial spécial pour les nourrir ? D’après l’éthique des urgences, le « pragmatisme juridique », oui. D’après le Droit et la science économique, non. Car si on fait cela, on va peut-être sauver effectivement des vies, mais cela impliquera une augmentation de l’instabilité politique, un découragement de la production, des risques de corruption des fonctionnaires en charge de l’opération, etc… et finalement, au bout du compte on se retrouvera avec 110 millions d’enfants qui meurent de faim.
En conclusion : ne pas donner aux cas d’urgence réelle l’importance qu’ils n’ont pas, car ils sont en fin de compte très rares. Se demander si la violation du droit dans ces cas sera réellement productive. Se demander si on connaît bien tout le contexte avant de juger qu’une violation du droit est légitime.
Si vous appliquez ces trois conditions, vous verrez que le nombre de cas dans lesquels une violation du Droit vous semblera justifié, tend finalement vers 0.
A vous lire.
Merci pour cette réponse. Je n’ai pas encore intégré lensemble des éléments (surtout de la fin), mais je voudrais néanmoins déjà réagir sur le début, c’est à dire la réponse à mon cas concret.
Vous dites que, dans ce cas-ci, puisque le voisin a admis l’intrusion, il n’y a pas violation de la propriété, et donc pas de problème. Ok, d’accord. Mais ce qui m’intéresse c’est le cas du voisin qui refuserait cette intrusion, parce que, comme vous l’avez proposé, l’homme qui est tombé a assassiné la femme du voisin (ou simplement parce que ce voisin n’a pas envie, point). Dans ce cas, je peux COMPRENDRE les motivations du voisin, je peux être INDULGENT envers sa réaction, mais il reste qu’il me semble néanmoins qu’il y a une bonne solution, qui est celle de passer outre et de violer la propriété du voisin.
Le fait que l’homme qui est tombé a assassiné la femme du voisin peut être une raison qui pousse le voisin à son conportement, mais je ne vois pas en quoi cela doit être une raison pour moi de laisser l’homme mourir.
Effectivement, ce genre de cas, tel que décrit, est assez rare, mais ils indiquent, malgré tout, il me semble, le fait qu’un système basé uniquement sur des principes absolus, invariables en toutes circonstances et qui priment sur toute autre considération se révèle tôt ou tard inhumain, c’est à dire qu’il mène tôt ou tard à prendre des décisions qui semble raisonnablement inadaptées (s’arrêter devant la porte du voisin pour ne pas violer sa propriété) alors même qu’elles sont rationellement justifiées dans le système dans lequel on fonctionne.
Il semble donc, dès lors nécessaire de faire intervenir d’autres éléments dans la réflexion, comme ce que vous avez fait avec l’exemple de la famine. Est-ce que telle ou telle décision est productive?
C’est ce qui me semble être pragmatique, c’est à dire s’en tenir au maximum au respect des droits et des principes, en gardant aussi comme objectif d’arriver à des résultats « productifs » comme « moins de famine ».
» Le fait que l’homme qui est tombé a assassiné la femme du voisin peut être une raison qui pousse le voisin à son conportement, mais je ne vois pas en quoi cela doit être une raison pour moi de laisser l’homme mourir. »
C’est le point clef.
Entre votre volonté (d’enfoncer la porte) et celle du voisin ( de résister), laquelle est légitime ? Vous avez évidemment l’impression que c’est vous qui avez raison, mais le voisin aussi.
Mais bref, je crains que tout ceci ne vous paraisse pas fort valable.
A propos de cette remarque:
« Le Droit est ce qu’il est. Et en effet, quel que soit le cas de figure, on a pas le DROIT de violer la propriété légitime. C’est une définition. Cette définition ne cesse donc pas d’être valide dans les cas extrêmes. »
J’ai toujours du mal à comprendre cette idée de droits naturels. Je ne vois pas bien en quoi il est « naturel » qu’une poutre à laquelle je suis le premier à m’être accroché soit ma propriété inviolable. Comme tout le droit, que c’est une simple convention que les hommes peuvent décider de se faire entre eux.
Et donc, je ne vois pas bien en quoi il serait contraire au Droit de fixer comme convention, par exemple:
« Toute poutre à laquelle vous êtes le premier à vous accrocher est votre propriété légitime, qui ne peut vous être prise par personne, excepté une femme enceinte (exemple stupide au hasard), qui peut faire valoir un droit de propriété légitime sur n’importe quelle poutre si elle n’en a pas encore. »
Dans ce cas, une femme enceinte qui prendrait la poutre ne violerait pas le Droit, puisque cette poutre cesserait d’être votre propriété légitime au moment où la femme essaie de la prendre ou vous la demande.
Je ne dis pas que cette solution est morale, je dis que je ne vois pas en quoi elle est moins respectueuse du Droit qu’une autre, puisque le Droit n’est qu’une construction humaine parmi les autres. Qu’il est ce qu’on en fait, et pas des règles inscrites dans les étoiles.
Attention!! En disant ça, je sais que je risque fort qu’on dise que je suis un relativiste, arbitraire, que je prétends qu’aucune norme n’est meilleure qu’une autre, et qu’il faut tout soumettre à l’arbitraire et au bon vouloir des décideurs socialistes bienveillants.
Je ne prétends pas du tout cela, bien au contraire, je pense qu’en tant que construction humaine, donc fragile car suspendue à notre bon vouloir, le droit nécessite d’être pris avec extrêmement de rigueur.
Comment pouvez-vous décider, orgueil et préjugés mis à part, que c’est vous qui avez moralement raison et pas le voisin ?
Il devrait quand même y avoir quelque chose qui vous trouble: si vos préférences sont si évidemment légitimes, comment se fait-il que le voisin ne les partage pas ?
Imaginez que l’homme accidenté soit Hitler ou Pol Pot, et que la conséquence de sa guérison est qu’il va continuer à exterminer des gens, et notamment la famille du voisin, parce que les pompiers sont ses amis: serait-il toujours aussi légitime d’enfoncer la porte pour le sauver contre le gré du voisin ? Entre cette situation et la précédente (celle ou le voisin est un simple assassin), où est la limite ?
Ce que vous faites implicitement en affirmant qu’il est « pragmatique » d’enfoncer la porte, c’est une comparaison interpersonnelle d’utilité: vous considérez que votre jugement moral est plus pertinent que celui du voisin.
C’est en fait une faute de logique: les comparaisons interpersonnelles d’utilité sont impossibles, tout simplement parce que l’utilité est subjective.
Par conséquent, il n’existe pas d’autre moyen rationnel (non violent) de trancher que d’admettre la règle de Droit, seule règle non arbitraire.
Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que si vous admettez que vos préférences personnelles prévalent sur celles des autres, parce qu’elles vous paraissent évidemment justes et légitimes, il se trouvera plein de gens pour vous imposer à vous également leurs propres préférences au motif du même pragmatisme: et là , vous comprendrez à quel point ce qui paraît évident à certains ne l’est pas pour vous.
Par exemple, pour un grand nombre de gens, il est évident qu’il est juste de faire violence à des journalistes parce qu’ils ont dessiné une caricature. C’est une évidence indiscutable pour eux, c’est tout à fait « pragmatique ». Pas pour moi, ni je présume pour vous. Alors, qui a raison ? Le plus fort ou celui qui se réfère à la règle de droit ? C’est la seule alternative.
« C’est le point clef.
Entre votre volonté (d’enfoncer la porte) et celle du voisin ( de résister), laquelle est légitime ? Vous avez évidemment l’impression que c’est vous qui avez raison, mais le voisin aussi. »
Je dirais que je peux considérer à la fois que sa raison de résister est légitime, et que la mienne de passer l’est aussi. Qu’il a le droit de m’empêcher de passer parce qu’il défend sa propriété légitime, et que j’ai le droit d’enfoncer la porte parce que je cherche à sauver une vie.
En rattachant cela à ce que je viens de dire, à savoir que le Droit est un ensemble de règles fixées par les hommes et pas par une transcendance quelconque. Et il se peut donc que le Droit, tel qu’il a été défini, m’autorise à violer la propriété d’autrui pour sauver une vie.
Si le Droit, en plus, a été défini en disant que nul ne peut s’opposer à la violation de sa propriété s’il s’agit de sauver une vie, alors, le voisin n’aurait plus le droit de m’empêcher de passer (une fois de plus, effectivement, ça n’empêche pas de comprendre ses motivations, et de lui trouver des circonstances atténuantes).
Mais vous m’opposerez que, en disant cela, je considère que le Droit ne reflète pas des principes immuables, mais simplement des rapports de forces entre ceux qui établissent le droit. J’ai posé cette question qui me travaille à plusieurs juristes, et leur réponse a toujours été que oui, malheureusement ou heureusement, le droit se construit par des rapports de forces. Le droit de propriété n’est pas un météorite tombée du ciel, mais bien une convention entre les hommes, établie par des rapports de forces (les plus forts ont, à un moment, imposé l’idée qu’il était nécessaire de respecter les droits de propriété pour assurer un minimum de stabilité dans la vie à plusieurs. Il fallait dépasser la simple « possession » pour pouvoir dépasser le stade de l’anarchie totale).
D’après votre dernier post, je vois que ce qui vous gêne aussi est la justification du Droit naturel. Pourquoi cette théorie du droit et pas une autre ? C’est cela ?
Il est évident que si je pensais que le Droit naturel était simplement une « construction humaine », je n’y serais pas aussi attaché et serais parfaitement relativiste en la matière. Ce Droit n’aurait d’ailleurs rien de naturel.
Je vous recommande de lire ce court texte, en guise de résumé de la justification du droit naturel comme seule norme rationnelle, et de revenir en discuter ensuite:
http://heresie.org/axiomatique_normative.html
A vous.
Considérer que les principes du Droit sont immuables et indépendants de la volonté humaine, c’est faire preuve d’une propension à la transcendance qui m’étonne de la part d’un athée farouche comme vous semblez l’être.
Alors, bien sûr, les rapports de forces ne sont pas uniquement de la force « physique ». Comme on le voit dans l’histoire du droit, il a émergé et il s’est construit parce que ses normes n’étaient pas simplement basées sur des rapports de forces physique ou d’esbrouffe mais aussi de force de persuasion à partir d’argumentations rationnelles, c’est à dire que le droit doit respecter les règles qu’il s’est fixé, entre autres donc de ne pas être arbitraire, pour être crédible et garder donc son importance. Des principes qui sont donc largement raisonnables, comme le droit de propriété, ont forcément plus de crédibilité en droit que d’autres principes moins faciles à justifier.
Désolé, pas le temps de poursuivre pour le moment…
Je vais lire cela…
« J’ai posé cette question qui me travaille à plusieurs juristes, et leur réponse a toujours été que oui, malheureusement ou heureusement, le droit se construit par des rapports de forces »
C’est normal. Les juristes sont formés à l’école positiviste, et ne connaissent absolument pas les règles du droit naturel. En fait, ils ne connaissent pas leur propre matière. Ils sont au droit ce que des théologiens sont à la science (si vous n’êtes pas croyant, vous comprendrez, sinon laissez tomber cette comparaison)