S’il y a quelque chose de bien établi en économie, c’est que la fixation par l’Etat d’un prix en dessous du prix du marché libre provoque nécessairement une pénurie.
S’il est interdit de vendre des automobiles à plus d’un euro pièce, toutes les usines de fabrication mettent immédiatement la clef sous la porte.
Ce sont pourtant ces évidences que nient ceux qui prônent une politique de contrôle des loyers.
Il ne faut pas être naïf: les hommes de l’Etat le savent très bien. Ils comptent seulement sur le fait que vous ne le savez pas.
Comme le dit Henry Hazlitt (Economics in One Lesson, Chapitre XVIII, traduit par Hervé de Quengo):
Le contrôle des loyers (…) encourage un gaspillage d’espace. Il discrimine en faveur de ceux qui occupent déjà une maison ou un appartement dans une ville ou une région données, et ceci aux dépens de ceux qui se retrouvent dehors.(…)
Les effets du contrôle des loyers empirent au fur et à mesure que le contrôle continue. On ne construit pas de nouveaux logements, parce qu’il n’y a plus de bonnes raisons de les construire (…)
Avec l’augmentation des coûts de construction (habituellement le résultat de l’inflation), l’ancien niveau des loyers ne permettra pas de faire un profit. Si, comme il arrive souvent, le gouvernement finit par le reconnaître et exempte les nouveaux logements du contrôle des loyers, il n’y a toujours pas une incitation aussi grande à construire de nouveaux bâtiments que si les anciens logements échappaient eux aussi au contrôle des loyers. Selon l’ampleur de la dépréciation monétaire depuis le gel des anciens loyers, les loyers des nouveaux logements peuvent se retrouver dix ou vingt fois plus élevés que les anciens, à espace équivalent. (Ceci s’est produit en France après la Deuxième Guerre mondiale, par exemple). Dans de telles conditions, les locataires actuels des vieux bâtiments n’ont aucune envie de partir, même si leur famille s’agrandit et que leurs conditions se détériorent.
En raison de faibles loyers gelés pour les anciens bâtiments, les locataires qui y habitent déjà , et qui sont légalement protégés contre une augmentation du loyer, sont encouragés à gaspiller l’espace, que leurs familles se soient réduites ou non. Ceci concentre la pression immédiate de la nouvelle demande sur le nombre relativement faible des nouveaux logements. Ce qui tend à faire monter leurs loyers, au début, à un niveau plus élevé qu’ils n’auraient atteint sur un marché parfaitement libre.
Néanmoins, ceci n’encouragera pas de manière proportionnelle la construction de nouveaux logements. Les constructeurs ou les propriétaires des appartements déjà existants, obtenant des profits réduits et peut-être même des pertes pour leurs anciens appartements, auront peu ou aucun capital à placer dans la construction. De plus, eux, où ceux qui possèdent un capital provenant d’autres sources, peuvent craindre que le gouvernement ne trouve à tout instant une excuse pour imposer également des contrôles de loyers sur les nouveaux logements. Et, de fait, il le fait souvent.
La situation du logement se détériorera par d’autres façons. La plus courante est que les propriétaires, si on n’autorise pas à augmenter de manière appropriée les loyers, ne se soucieront plus de réorganiser les appartements ou d’y apporter d’autres améliorations. En fait, si le contrôle des loyers est particulièrement irréaliste et oppresseur, les propriétaires ne chercheront même pas à réparer les appartements ou les maisons.
Non seulement ils n’auront aucune raison économique de le faire, mais ils peuvent même ne pas avoir les fonds nécessaires. Les lois sur le contrôle des loyers, entre autres effets, créent de mauvais rapport entre des propriétaires qui sont forcés de se contenter de gains minimaux ou même de pertes, et des locataires qui s’indignent du refus du propriétaire d’effectuer les réparations adéquates.
(…)
On pourra en arriver à un point où de nombreux propriétaires non seulement cessent de faire le moindre profit, mais doivent faire face à des pertes croissantes et obligatoires. Ils peuvent se trouver dans une situation où ils ne peuvent même pas se débarrasser de leur propriété. Ils peuvent alors abandonner réellement leur propriété et disparaître, afin de ne pas être imposables. Quand les propriétaires cessent de fournir le chauffage et d’autres services de base, les locataires sont obligés d’abandonner leurs appartements. Des quartiers de plus en plus nombreux deviennent des taudis. Au cours des dernières années, à New York, il est devenu courant de voir des blocs complets d’appartements abandonnés, fenêtres brisées ou bouchées pour empêcher d’autres déprédations de vandales. Les incendies volontaires deviennent plus fréquents et les propriétaires sont suspectés (NDLR: car aux Etat-Unis, les propriétatires ont de surcroit été contraints par la loi d’entretenir leur propriété, ce qui en a poussé plusieurs à s’en débarraser, en les détruisant)(…)
Quand ces conséquences sont tellement claires qu’elles crèvent les yeux, ceux qui ont imposé le contrôle des loyers ne reconnaissent bien sûr nullement leur erreur. Au contraire, ils dénoncent le système capitaliste. Ils prétendent que les entreprises privées ont à nouveau « échoué » ; que « les entreprises privées ne peuvent pas faire ce travail. » Par conséquent, disent-ils, l’État doit intervenir et construire lui-même des habitations à loyer modéré.
Tel a été le résultat presque universel dans tous les pays qui furent impliqués dans la Deuxième Guerre mondiale ou qui ont imposé le contrôle des loyers afin de contrecarrer l’inflation monétaire.
Ainsi, le gouvernement lance un gigantesque programme de logement – aux frais du contribuable. Les maisons sont louées à un taux qui ne rembourse pas les frais de construction et de l’opération. Une méthode typique de procéder consiste pour le gouvernement à payer des subventions annuelles, soit directement aux locataires avec des loyers faibles, soit aux constructeurs ou directeurs des logements d’État. Quel que soit l’arrangement retenu, les locataires de ces constructions sont subventionnés par le reste de la population. On paie une part de leur loyer à leur place. On les sélectionne pour obtenir un traitement de faveur. Les possibilités politiques de ce favoritisme sont trop évidentes pour qu’il soit nécessaire de les souligner. On crée un groupe de pression qui croit que le contribuable leur doit ces subventions, qui sont pour eux un droit. Un autre pas est fait vers l’État Providence total.
(…)En lui-même, le fait que les loyers légaux sont maintenus tellement en deçà des loyers du marché augmente artificiellement la demande d’espace locatif en même temps qu’il décourage tout accroissement de l’offre. Ainsi, plus les plafonds de loyers sont, de manière déraisonnable, maintenus bas, plus il est certain que la « rareté » des maisons et des appartements à louer continuera.
(…)Quand on met en place des contrôles de prix déraisonnables sur des articles de consommation immédiate, comme le pain par exemple, les boulangers peuvent tout simplement refuser de le cuire et de le vendre. La pénurie devient immédiatement évidente et les politiciens sont obligés d’augmenter les prix plafonds ou de les supprimer. Les logements sont eux des biens très durables. Il faut parfois attendre plusieurs années avant que les locataires commencent à sentir les résultats du découragement à créer de nouveaux bâtiments et à réparer et maintenir normalement les anciens.
Cela peut prendre encore plus de temps avant qu’ils ne se rendent compte que la rareté et la détérioration des logements sont directement liées au contrôle des loyers.(…)
La pression en faveur du contrôle des loyers vient de ceux qui ne considèrent que ses bénéfices imaginés à court terme pour un groupe de la population. Mais lorsque nous considérons ses effets à long terme pour tout le monde, y compris les locataires eux-mêmes, nous devons reconnaître que le gel des loyers n’est pas seulement de plus en plus vain, mais de plus en plus destructeur, au fur et à mesure qu’il devient plus sévère et plus longtemps il demeure en application.
C’est ainsi que les hommes de l’Etat organisent la destruction de la société en prétendant l’améliorer.
Lire également ceci.
« Peut être que les faits me donneront tort, mais si quelqu’un a besoin de prendre le risque d’une prévision, alors que ce soit sur le yahourt non périmé ». »
Personne n’a dit le contraire: bien sûr que nous faisons tous des prévisions sur des préférences futures, que ce soient les nôtres où celles d’autrui. L’essentiel de notre temps est même consacré à cette activité. Mais nous sommes dans l’incertitude à cet égard.
Ce n’est pas parce que des préférences ont existé ou existeront qu’elles existent actuellement, en dehors de toute action.
Et votre modèle économique devra bien se fonder sur des préférences passées, qui ont été observées car révélées par l’action. Sinon, comment pourrait-il les connaître ? Sur quelles hypothèses pourrait-il se fonder, si ce n’est des observations d’actions passées ? Il va ensuite se contenter de dire: ‘Bon, les actions et donc les préférences des gens demain seront grosso modo les mêmes que celles d’hier’.
Où est la preuve que les préférences existent en dehors de l’action dans tout cela, je me le demande.
Tout est question de vocabulaire et de sens des concepts.
Si je dis: « je préfère être debout qu’assis », ce que je veux dire en réalité, c’est : « dans de nombreuses circonstances où je crois que la plupart des gens auraient préféré s’assoir, j’ai préféré rester debout, et je prévois qu’il en sera probablement de même à l’avenir ».
Voyez-vous la différence ? Car, au sens littéral, en dehors d’une action particulière, il est absurde de prétendre qu’on préfère être debout qu’assis. Si vous allez diner chez des amis, il faudra bien que vous acceptiez de vous assoir (librement, par choix donc). Si vous êtes dans la rue, vous serez debout: cela dépend.
On peut trouver des exemples peut-être encore plus parlants:
Préférez-vous dormir ou veiller ? Aucun sens, en dehors d’une situation de choix concret. Préférez-vous regarder un film ou boire un verre d’eau ? Aucun sens, encore: tout dépend si vous êtes au cinéma ou dans un désert.
Pour l’instant, ces choix ne se présentent pas, et donc les préférences n’existent pas.
Mickael,
En fait, ce que tu essaies de faire comprendre a Pleutre s’appelle le marginalisme.
…j’ajouterais donc, pour completer l’expose : la question est de savoir si a un instant t et dans un contexte donne, vous prefererez UNE UNITE SUPPLEMENTAIRE de A a UNE UNITE SUPPLEMENTAIRE de B.
» Ce que je conteste, c’est que ces préférences préexistent à l’action, qu’elles flottent dans l’espace sans support concret. Ce que je dis est bien que les préférences n’existent pas en dehors de l’action, c’est-à -dire d’un choix concret qui rend le concept de préférence pertinent. Le concept de préférence n’a aucun sens en dehors de la possibilité concrète d’exercer un choix par une action, si vous voulez. »
N’existent-elles pas en permanence dans le système nerveux central , sous forme de traces mnésiques ? Qu’une situation de choix réactivera , mais aussi une
évocation volontaire ( par exemple si je m’interroge à leur propos ) ou des situations qui enclanchent la mise
en oeuvre d’un circuit qui les suscite ( associations
libres ou rêve , par exemple ) .
Et si je m’interroge sur mes préférences , le plus souvent je les connais très bien . Bien sûr je les conçois au sens courant que l’on donne à ce terme : selon le Larousse , préférer = considérer avec plus de faveur qu’autre chose..
Est-ce que toute cette discussion ne tourne pas autour de définitions différentes de ce qu’est une préférence ?
Peut-être devriez-vous en choisir une commune , ou poser clarement chacun la votre . Afin que le citoyen moyen puisse un peu suivre….
» Si vous allez diner chez des amis, il faudra bien que vous acceptiez de vous assoir (librement, par choix donc). Si vous êtes dans la rue, vous serez debout: cela dépend. »
Si je dois m’asseoir parce que la situation me l’impose , suis-je libre ?
Dans la rue , s’il s’y trouve un banc , je serai peut-être assis…(dans ce cas par ma libre volonté)
» Préférez-vous dormir ou veiller ? Aucun sens, en dehors d’une situation de choix concret. Préférez-vous regarder un film ou boire un verre d’eau ? Aucun sens, encore: tout dépend si vous êtes au cinéma ou dans un désert. »
Le déprimé préfère dormir . Le maniaque préfère veiller .
ce sont des préférences typiques de ces personnes . Bien
connues . Même en l’absence de choix concrets de dormir ou pas .
Il faut envisager de vraies alternatives : pas regarder le film ou boire le verre d’eau . Mais aller au cinéma ou au théatre , et boire du vin ou de l’eau….N’est-on pas alors en face de préférences , dès que quelqu’un est
porté sur une des alternatives , même en l’absence de tout acte concret de choix ?
Finalement n’appelez-vous pas « anticipations de préférences » ce que le vulgus appelle « préférences » tout simplement , et lorsqu’alors vous parlez de préférences , vous voulez dire ce qu’un non-initié appellerait d’une périphrase » préférences manifestées dans un choix concret » ?
« En fait, je pense que le concept « préférence » est logiquement dépendant du concept « choix ». Par conséquent, en l’absence de choix, il n’y a pas de préférence possible »
Qui a dit le contraire ? Il s’agit toujours de considérer les préférences d’un individu relativement à un choix donné. Pour rebondir sur le propos de Laurent, l’intérêt du marginalisme est justement de proposer une définition rigoureuse des choix auquels ce livre les individus, qui le plus souvent, ne sont pas, par exemple, consommer ou non, mais consommer un peu plus de quelque chose ou un peu moins.
« Ce n’est pas parce que des préférences ont existé ou existeront qu’elles existent actuellement, en dehors de toute action. »
La question n’est pas là . Le propos est de savoir si ces préférences existeront au moment du choix.
« Où est la preuve que les préférences existent en dehors de l’action dans tout cela, je me le demande. »
Votre expression est trop imprécise : j’ai reformulé l’enjeu comme celui de la rationalité. Les individus agissent-ils généralement selon des préférences ou de façon irréfléchie. Il est clair que vous n’êtes pas prêt à affirmer que l’on agit de façon irréfléchie. Ralph parle de deux lectures possibles de Rothbard (faible ou forte) : il n’existe pas d’alternative à ces deux lectures. Or vous refusez la première comme la seconde.
La première lecture (la forte) est clairement intenable. Vous ne vous y risquez pas. En revanche vous semblez vous situez de façon ambigue dans la seconde, ce qui rend votre position peu claire et parfois purement réthorique. De façon ambigue parce que d’un coté, elle vous fournit une réthorique commode pour rejeter d’office des analyses qui vous gênes, en refusant de les affronter sur leur terrain, mais de l’autre, s’apparente à un déni de liberté pour l’économiste, qu’un libéral ne peut pas empêcher d’adopter une méthode qui s’avérerait fructieuse empiriquement.
Laurent disait : « Pas d’accord. Grosso modo, vous postulez que le passage du discret au continu ne change pas les resultats »
Voilà sur ce point les commentaires de Maurice Allais :
« Ces suppositions ne sont pas legitimes a priori car il existe un grand nombre de services qui se consomment par unites indivisibles, dÂ’autres dont le besoin cesse brusquement lorsquÂ’on en consomme une quantite déterminée. […] Pour nous rapprocher de la realite il faudrait donc considerer des variations finies, mais lÂ’etude ainsi menee serait considerablement plus difficile. […] Il faut donc toutes les fois que cela est possible remplacer celles-ci par celles-la; cÂ’est ainsi que lÂ’on procede dans toutes les sciences physiques. Une telle maniere de proceder ne presente dÂ’ailleurs en economie pure aucun inconvenient essentiel; en effet ce que nous recherchons, ce nÂ’est pas de calculer les pramaretres correspondant à lÂ’equilibre, mais de mettre en evidence leur mutuelle interdependance. Si donc a la realite qui comporte des objets variant par quantites discontinues, nous substituons une representation schematique et ideale ou des quantites de meme espece (quant aux gouts des individus) varient dÂ’une facon continue, nous ne modifions en aucune facon la nature de lÂ’interdependance generale des parametres; nous ne faisons que la simpliifer et lÂ’idealiser, ce qui constitue la methode meme de toute theorie physique.”
Pleutre, c’est moi qui m’interroge sur vos propos:
« La question n’est pas là . Le propos est de savoir si ces préférences existeront au moment du choix. »
??? Qui a prétendu autre chose ? Evidemment que les préférences existeront au moment du choix, mais elles n’existeront qu’à ce moment là , pas avant.
C’est limpide.
« Ralph parle de deux lectures possibles de Rothbard (faible ou forte) : il n’existe pas d’alternative à ces deux lectures. Or vous refusez la première comme la seconde. »
Non, relisez Ralph et mes posts: je soutiens la « version forte »: les préférences n’existent pas en dehors de l’action. C’est ce que je me tue à expliquer depuis le début. Je ne vois pas comment être plus clair.
« Pour nous rapprocher de la realite il faudrait donc considerer des variations finies, mais lÂ’etude ainsi menee serait considerablement plus difficile. »
Dis tout de suite « impossible », Maurice.
Tout est dit: ma méthode, dit Maurice Allais, n’est pas adaptée, mais je refuse d’en considérer une autre.
« l faut donc toutes les fois que cela est possible remplacer celles-ci par celles-la; »
Mais justement, ce n’est JAMAIS possible.
» cÂ’est ainsi que lÂ’on procede dans toutes les sciences physiques. »
Quel rapport avec la choucroute ? Et pourquoi pas « c’est ainsi qu’on procède en cuisine » ? Où est la démonstration que l’on peut transposer les méthodes des sciences physiques en économie ?
Toute cette sophistique a été réfutée dans Economistes et Charlatans, en long et en large.
« nous ne faisons que la simpliifer et lÂ’idealiser, ce qui constitue la methode meme de toute theorie physique.”
Et en cuisine ?!
Encore une fois la méthode expérimentale valable en physique ne l’est pas en économie, car dans le deuxième cas il y a la conscience humaine qui fait des choix. Faire abstraction de cette donnée, c’est tout simplement raconter N’IMPORTE QUOI.
Considérer des éléments qualitatifs comme s’ils étaient quantitatifs, ce n’est pas une « simplication », c’est tout simplement FAUX.
Je ne comprends pas pourquoi des choses aussi évidentes sont aussi difficiles à admettre.
« »nous ne faisons que la simpliifer et lÂ’idealiser, ce qui constitue la methode meme de toute theorie physique.” »
Cette phrase est très révélatrice: « idéaliser », pour Allais, ça veut dire négliger l’existence de la conscience humaine, qui est la seule véritable causalité en économie. Pour Allais, la situation « idéale » serait celle où la conscience humaine n’existerait effectivement pas.
Ce qu’il veut, c’est donc l’existence sans la conscience. Il appartient donc à la catégorie « mystique du muscle » dénoncée par John Galt dans Atlas Shrugged.
Je reproduis ici cette citation qui est probablement une des assertions philosophiques les plus pertinentes et profondes jamais énoncées à la surface de ce globe:
Ci-dessous quelques commentaires de Salin (Le Liberalisme) au sujet de Maurice Allais :
« Parce que la propriete privee ne constitue par pour Allais le fondement meme d’une societe libre, une place importante peut etre devolue a l’Etat, (…)en particulier pour satisfaire les « besoins collectifs » et les financer, mettre en oeuvre la politique monetaire, definir et realiser les transferts de revenus, definir le cadre institutionnel des economies de marches. (…)Allais lui-meme n’hesite pas a justifier l’intervention etatique dans le domaine du logement, de l’investissement, de la recherche, de la culture ou encore pour imposer la participation des travailleurs dans l’entreprise et confisquer les « rentes de rarete ».(…)il est plutot un liberal utilitariste et pragmatique, representant typique et tres talentueux des economistes mathematiciens francais »
Talentueux sans aucun doute, mais certainement pas dans la lignee de Bastiat ni des autrichiens. Pas etonnant qu’il soit une reference pour Ralph et Pleutre.
Vous tenez deux propos contradictoires :
1. « Qui a prétendu autre chose ? Evidemment que les préférences existeront au moment du choix, mais elles n’existeront qu’à ce moment là , pas avant.
C’est limpide. »
2. « les préférences n’existent pas en dehors de l’action. »
Le problème, comme le fait remarqué Ralph, c’est que Rothbard, en refusant les courbes d’indifférence, refuse du même coup le propos n°1 que vous tenez. Au départ, Rothard se contente d’affirmer que « c’est le choix effectif qui révèle, ou démontre, les préférences de quelqu’un ». Ce qui indique bien l’existence, ex ante, de ces préférences. La seule critique de Rothbard est alors pour quelques économistes qui ont pu associer ces préférences à des structures stables dans le temps, ce qui n’est sans doute pas toujours vrai et pas toujours faux. Jusque là tout le monde est d’accord, et Rothbard ne s’attaque pas encore au coeur de la méthode économique standard.
Mais lorsque Rothbard refuse la courbe d’indifférence, il devient alors incohérent, en affirmant non plus que « l’action révèle les préférences », mais que l’action non seulement révèle, mais crée les préférences (j’aime ce que je choisis, mais je ne choisis pas ce que j’aime). Autrement dit, l’absence de rationalité ! Bizarrement, vous n’êtes pas prêt à défendre cette idée d’irrationalité (et vous avez raison) mais vous vous dissimulez dans une reformulation évasive (les préférences n’existent que dans l’action).
« Ce qu’il veut, c’est donc l’existence sans la conscience. Il appartient donc à la catégorie « mystique du muscle » dénoncée par John Galt dans Atlas Shrugged. »
A mon sens, défendre l’irrationalité, c’est à dire le principe « j’aime ce que je choisis » plutôt que « je choisis ce que j’aime », c’est EXACTEMENT parler de l’existence sans la conscience !!
« il est plutot un liberal utilitariste et pragmatique, representant typique et tres talentueux des economistes mathematiciens francais »
La citation d’Allais portait sur la méthode de l’économie. Si Salin devait mettre à jour son bouquin, il n’oserait même plus écrire des compliments sur lui : Allais a mal vieilli et écrit de plus en plus de pitreries. Mais celles-ci ne découle en rien d’un passage du discret au continu. De même que la validité des idées libérales ne découle en rien de la pertinence des courbes d’indifférence.
Ce qui est en jeu, c’est plus la manière de communiquer d’une partie (je l’espère de plus en plus marginale) des libertariens, qui n’hésite pas à être malhonnête. Ainsi, la distinction entre libéraux utilitaristes et humanistes, que propose Salin, n’a tout simplement pas lieu d’être : l’économie standard a depuis longtemps adoptée l’idée de la subjectivité de la valeur. Aussi, si dans des modèles, des agents représentatifs sont utilitaristes, c’est tout simplement parce que cela semble le mieux correspondre à la réalité. L’économie est aujourd’hui une science hypothético-déductive, et ne peut pas être utilitariste ou humaniste, puisque sa seule ambition est d’atteindre une pertinence empirique.
Heureusement, de plus en plus de libertarien se sont raliés aux méthodes positives, et peuvent ainsi paraître au plus grand nombre dignes d’intérêt. Cf. le succès d’un blog comme marginalrevolution.com …
Pascal Salin est très poli, courtois et respectueux à l’égard de Maurice Allais parce que c’est son style en général et c’est bien comme ça. Maintenant comme il en faut pour tous les goûts, j’aimerais vous citer (correspondance privée datant de l’automne 2003, complétée pour l’occasion), dans un autre style, l’avis de François Guillaumat qui surnomme Maurice Allais « le demi-fou matérialiste ». Il faut savoir que ce dernier est le prix Nobel d’économie qui, parmi d’autres mais lui essentiellement, a rendu depuis le début des années 1990 les droites conservatrice, souverainiste et nationaliste françaises encore plus aveugles – ou
stupides, selon le point de vue – qu’elles ne l’étaient auparavant, c.à .d. encore plus sociales-étatistes (et accessoirement anti-américaines) :
« Maurice Allais a provoqué une catastrophe politique en convertissant les milieux pseudo-conservateurs et pseudo-nationalistes [sur le « pseudo » voir http://membres.lycos.fr/mgrunert/Pseudodemocratie.htm, E.ABC] au socialisme par celui de ses aspects inhérents qui est propre à les séduire, la répression du changement social.
Ils étaient déjà auparavant, par définition du pseudo-conservatisme et du pseudo-nationalisme, tentés par le monopolisme protectionniste, mais nous pouvions les intimider en leur rappelant qu’ils ignoraient tout de la science économique. Mais depuis que « Leûûû Prix Nobel », pour des raisons différentes (eux ne maîtrisent pas le raisonnement comptable, lui se méprend sur les moyens de preuve de la théorie économique), cautionne leurs préjugés d’analphabètes économiques, on ne peut plus leur faire entendre raison.
Il s’ensuit que la droite nationale, sans qu’elle soit seulement capable de le reconnaître pour tel, tient désormais un discours aussi socialiste que celui des autres partis, ce qui non seulement brise effectivement la résistance au socialisme qui caractérisait l’électorat de droite jusqu’au début des années 1990, mais libère à cet égard les traîtres qui dirigent la fausse droite de toute contrainte vis-à -vis de leurs électeurs.
J’appelle Maurice Allais « le demi-fou matérialiste » non pas pour l’insulter – il se trompe de bonne foi, il ne mérite pas cela – mais pour expliquer ses erreurs.
S’il ne se rend pas compte que les théories du libre-échange sont aussi vraies que deux et deux font quatre, c’est parce qu’il est, de son propre aveu, un autodidacte en économie, sa formation étant celle d’un ingénieur. Et l’erreur principale que lui inspire ce défaut de sa formation est son matérialisme méthodologique : incapable de tirer les conséquences formelles du fait que c’est la pensée de l’homme qui inspire son action, il voudrait appliquer la méthode expérimentale à des questions dont même des pseudo-expérimentalistes aussi convaincus que Milton Friedman reconnaissent qu’elles n’en relèvent pas. D’où sa prétention absurde à « réfuter statistiquement » les théories du libre-échange, dont on ne répétera jamais assez que, correctement énoncées, elles sont aussi vraies que deux et deux font quatre.
PLUS PRÉCISÉMENT, CE PRÉJUGÉ PSEUDO-EXPÉRIMENTALISTE LE CONDUIT EN OUTRE À CONSIDÉRER COMME « PLUS SCIENTIFIQUE », PARCE QUE « PLUS RÉALISTE » ET PLUS « TESTABLE PAR L’EXPÉRIENCE », UN EXAMEN THÉORIQUE DU LIBRE -ÉCHANGE QUI MÉLANGERAIT DES CONSIDÉRATIONS D’INCERTITUDE À L’EXAMEN COMPARATIF DES INSTITUTIONS. ET CETTE PREMIÈRE ERREUR LUI A DONNÉ DEUX OCCASIONS SUPPLÉMENTAIRES DE SE TROMPER :
– PARCE QUE LA QUESTION DU LIBRE-ÉCHANGE EST DE NATURE PUREMENT INSTITUTIONNELLE, CATÉGORIQUEMENT DISTINCTE DE CELLE DE L’INCERTITUDE.
C’EST POUR CELA, PARCE QU’ILS COMPRENNENT LA NATURE DU PROBLÈME ET NON POUR LE SIMPLIFIER, QUE LES THÉORICIENS DU LIBRE-ÉCHANGE RAISONNENT EN « STATIQUE COMPARATIVE »Â : ET QUE LEURS CONCLUSIONS NE SONT PAS APPROXIMATIVES, MAIS ABSOLUES TOUTES CHOSES ÉGALES PAR AILLEURS. PAR AILLEURS, RAPPELONS-LE, ELLES NE SONT PAS CONTINGENTES, MAIS CERTAINES.
– PARCE QUE MAURICE ALLAIS, MATHÉMATICIEN AUTODIDACTE EN ÉCONOMIE, SANS EXPÉRIENCE FINANCIÈRE, NE SAIT PAS RAISONNER SUR L’INFORMATION, ET PAR CONSÉQUENT SUR L’INCERTITUDE EN ÉCONOMIE.
EN CONSÉQUENCE, MAURICE ALLAIS
– ATTRIBUE FAUSSEMENT AU LIBRE-ÉCHANGE DES PERTES ÉVENTUELLEMENT OBSERVABLES À LA SUITE D’UNE OUVERTURE DES FRONTIÈRES QUI NE PEUVENT EN RÉALITÉ ÊTRE DUES QU’À L’INCERTITUDE D’ORIGINE POLITIQUE, ET NOTAMMENT AU FAIT QUE LES HOMMES DE L’ÉTATÂ… AVAIENT IMPOSÉ LE PROTECTIONNISME AU DÉPART.
– PRÊTE FAUSSEMENT AU PROTECTIONNISME UNE CAPACITÉ À ATTÉNUER CES PROBLÈMES, ALORS QUE CE PROCÉDÉ DE REDISTRIBUTION POLITIQUE SOCIALISTE NE PEUT ATTÉNUER LA CHARGE DU RISQUE POUR LES UNS QU’EN FORÇANT LES AUTRES À LE SUBIR À LEUR PLACE, ET AGGRAVE LE PROBLÈME GLOBAL DE L’INCERTITUDE : DE CE POINT DE VUE, C’EST DONC UNE POLITIQUE DE GRIBOUILLE.
EN OUTRE, si je l’appelle « le demi-fou » c’est parce que pour moi il est évident que le gâtisme explique certaines de ses erreurs. Non seulement il se contredit dans ses écrits (par exemple, affirmant que l’unification monétaire européenne était impossible, puis appelant dans le même texte à un système de changes fixes au niveau mondial ce qui est encore plus difficile – c’est hélas le genre de contradictions qui échappent au profane) mais il a « vu » littéralement le contraire de ce qui se passait réellement : l’effet le plus spectaculaire et le plus caractéristique de la récession Trichet de 1992-95, qu’avait causée la politique déflationniste de la Banque de France, c’était l’EFFONDREMENT DES IMPORTATIONS, jamais vu auparavant en temps de paix. Or, n’est-ce pas le moment qu’a choisi Allais pour hurler à l' »L’INVASION DES PRODUITS ÉTRANGERS », prétendre qu’elle était la cause de la récession, et nier que la politique monétaire avait causée celle-ci ? Aussi mal formé à l’économie qu’il soit, Maurice Allais n’aurait jamais pu avoir une telle hallucination s’il avait encore eu toute sa tête.
Et ce n’est pas parce qu’il n’est plus responsable de ses actes qu’on ne doit pas mesurer le mal qu’il a fait, et continue à faire, à son propre pays – ni dire la vérité à son sujet. Malheureusement, il est bien tard.
J’AI PORTÉ CE JUGEMENT À L’ÉPOQUE, ET JE LE CONFIRME : À L’EXCEPTION DU COMMUNISTE CHIRAC, AUCUNE PERSONNALITÉ FRANÇAISE N’A FAIT PLUS DE MAL À SON PAYS QUE MAURICE ALLAIS AU COURS DES ANNÉES 1990.
F.G. »
Préférences, indifférences, appartiennent au monde phénoménal, le monde de l’esprit humain, subjectif, propre à chacun. Le monde des pensées et des rêves.
La trouvaille de l’économie néo-classique mathématique, ou standard empirique, c’est de mettre en équations, et de chiffrer, ce monde phénoménal.
Au début on le fait avec beaucoup de précautions et de modestie. On introduit des probabilités, des stabilités supposées, qui ne font que masquer le problème et repousser en amont la prétention de connaissance.
On prend grand soin d’exposer ses réticences , ses scrupules. On rend un hommage appuyé aux grands principes et aux mécanismes fondateurs. Puis on oublie très vite. On dérive tout doucement et on en arrive à chiffrer, équilibrer, optimiser, mesurer le bien être collectif, et bien sûr, recommander.
Cela plaît énormément à l’immense majorité des petits despotes éclairés qui pensent que tout peut et doit se traiter par la contrainte à partir de leur vue raisonnable, sinon rationnelle, du bien être de l’humanité.
Néanmoins il est bon de revenir souvent au conseil de Hayek « from time to time it is probably necessary to detach oneself from the technicalities of the argument and to ask quite naively what it is all about. »
C’est un paradoxe de voir un libertarien ou un libéral adopter le concept de l’individu représentatif et de sa mise en équations.
Note : Les diagrammes utilisés pour illustrer des principes ne sont pas des mathématiques mais une illustration graphique du raisonnement adressée au côté droit du cerveau, ce qui soulage le côté gauche qui en bien besoin.
Pleutre Anonyme,
On ne saurait mieux dire.
Au passage, votre citation de Hayek est precisement un appel a se servir du cote droit du cerveau, adresse aux nombreux intellectuels au cote gauche hypertrophie.
Cela rejoint l’utilisation abondante de diagrammes dans les ouvrages autrichiens.
Surtout, cela rejoint le role central de l’entrepreneur dans l’approche autrichienne. En effet, et contrairement aux theories quantitatives du management, celui-ci doit faire appel a son « cote droit » (jugement, intuition, apprehension globale et synthetique des problemes, etc.) plus qu’a son cote gauche (analyse formelle).
Le choix ne révèle que le choix… et rien d’autre. Lorsqu’un ensemble de choix paraissent dessiner une forme de régularité sociale, ou une « tendance », il est tentant de référer ces choix à une sorte de rationalité commune, mathématisable, voire une psychologie collective. De la même manière, il est « pratique » de figer, ou d’arrêter un choix sur une supposée préférence de l’individu. Or, ni l’une, ni l’autre interprétation de ces choix ne peuvent être tenues pour certaines et fiables (c’est le double piège sociologisme-psychologisme). Dans l’un comme dans l’autre cas, le désir d’interprétation est stratégique et politique : il s’agit d’anticiper les actions humaines et de les influencer, soit à des fins économiques (en risquant sur le marché des nouvelles valeurs à investir) soit à des fins de pouvoir (comme le souligne Pleutre, cela se termine souvent par une mesure du bien-être collectif).
Une incertitude demeure parce que précisément les individus ne sont pas assujettis à leurs choix par de supposées préférences (sauf pathologie, rien n’est figé ou déterminant; sauf situation impossible ou contrainte, rien n’est inévitable). Préférer, ce n’est pas anticiper un choix, avoir quelqu’idée ou fantasme préconçu de ce qu’on va choisir avant que la situation de choix ne se présente , c’est s’investir dans ce choix en situation. Ce qui peut réserver beaucoup de surprises et d’inattendus. Choisir une brune alors qu’on est obsédé par les blondes n’a rien d’irrationnel, même si ça emmerde les autres. Au fond, tant qu’on demeure au stade du fantasme, on ne sait vraiment pas ce qu’on veut (ce qui est sûr, c’est qu’on évite ainsi le risque d’être confronté à un terrible choix).
Excellente intervention, Arnold, comme d’habitude.