Nous éprouvons tristesse et compassion pour les victimes du drame de Pourtalès à Strasbourg(12 morts). Mais faut-il pour cela admettre que nos élus s’érigent en guides moraux ? C’est quand même incroyable comme des abstractions peuvent être réelles. La ville de Strasbourg est en deuil (DNA du 12 juillet) . Un sentiment, une émotion sont donc ressentis par une ville. C’est à la suite de grands drames comme celui de Pourtalès que l’on voit fleurir un tel vocabulaire, attribuant à un groupe des sentiments que seule une personne peut éprouver. Lorsqu’un homme d’Etat vient à décéder, c’est la Nation qui est en deuil. Pourtant, je croise des Strasbourgeois en allant acheter mon journal et je les vois rire, faire la gueule, ou garder un air impassible ; enfin je les vois vivre avec leurs humeurs coutumières. Ils ne sont pas en deuil, même s’ils éprouvent peut-être un profond regret et une compassion certaine pour les victimes. Alors pourquoi persister dans cette falsification des faits ? Par habitude langagière sans-doute. Mais ce qui relève d’un anodin morceau de rhétorique devient, pour les élus politiques, la justification de décisions démagogiques et arbitraires. La ville est en deuil ? Mais la ville c’est la municipalité et la municipalité c’est la majorité municipale, et elle c’est le Maire, donc le Maire c’est la ville. Il est donc logique que les autorités municipales prennent des décisions conformes à leurs sentiments personnels, au nom de tous. Plus de « feux d’artifices », plus de « bals ». Ainsi en a décidé « la mairie de Strasbourg ». Il est interdit de se réjouir lorsque d’autres membres de la tribu souffrent. On a le devoir d’affecter le deuil. Du point de vue géographique chaque ville de France n’est qu’un ensemble d’individus, politiquement, la ville est une personne éprouvant des sentiments, susceptible d’accomplir un deuil. Et la tête de ce corps ? Le Maire pour une ville ou le Président pour un pays. Chacune de ces augustes personnes est habilitée à parler et à ressentir au nom des autres, comme si les individus n’existaient pas (avant qu’ils ne redeviennent des électeurs, bien sûr). Peut-on décréter un sentiment ? C’est pourtant ce que nos élus font. On décrète la solidarité, on décrète le deuil. La conséquence c’est que les individus ne sont plus moralement autonomes ; ils sont guidés comme des moutons parce qu’ils ont accepté d’être cajolés par un berger bienveillant. Tout cela est devenu très naturel. On ne peut même plus parler de terrorisme moral. Il s’agit simplement d’une démocratisation des sentiments. Ce que la majorité ressent (ou ce que l’on suppose qu’elle ressent) devient non seulement un sentiment officiel, mais en plus la justification de toute une série de mesures coercitives.
Alors, je dis aux élus: laissez-nous éprouver nos sentiments! Baissez les impôts pour qu’on puisse organiser nos feux d’artifices et tout le reste et…foutez-nous la paix !