La question de l’immigration divise les libéraux. Pour preuve, ce changement relativement récent dans le célèbre World’s Smallest Political Quiz :
Let peaceful people cross borders freely.
a été remplacée par :
There should be no National ID card
est-ce à dire que la question de l’immigration est devenue par trop polémique chez les libéraux ? Influence du professeur Hoppe peut-être ? D’ailleurs, quand j’avais repris le quiz, bien avant, j’avais déjà changé pour
Les étrangers financièrement indépendants (ayant trouvé du travail, ayant un logement) doivent être libres de venir s’installer en Suisse.
car je trouvais que la question originale manquait de clarté, en effet qu’est-ce donc que des « peaceful people » ? Selon le sens donné à l’expression, tout le monde pourra être pour ou tout le monde pourra être contre.
La sujet est toujours débattu entre les libéraux. Nous sommes d’accord que dans une société vraiment libérale, il n’y aurait pas de frontières d’Etat, juste des propriétés privées, avec des propriétaires libres d’accepter ou de refuser qui ils veulent. Le désaccord concerne donc le statu quo : tant que la société est étatisée (politiques redistributives, subventions, « espaces publics » collectivisés, une mauvaise garantie des droits de propriété et donc une mauvaise sécurité), faut-il être favorable à l’ouverture des frontières ? Divers points de vue sur le sujet : Ken Schoolland (traduction en français), Hans Hermann Hoppe, François-René Rideau…
J’ai déjà exprimé ce que je pensais du droit de vote des étrangers, de l’ouverture des frontières, des problèmes de sécurité liés à l’immigration, des lois anti-discrimination, de l’islam, du racisme et de la discrimination positive, de l’anti-racisme, etc. Mais la problématique complexe de l’immigration soulève encore d’autres questions.
Par exemple, cet article de Marc, avec lequel je ne suis pas entièrement d’accord, aborde le problème sous l’angle de l’espace public. Je ne suis pas convaincu par cette approche, et encore moins par les conclusions qu’il en tire au sujet de l’immigration clandestine.
Pour commencer, il n’y a pas un espace public, mais plusieurs « espaces publics » superposés. Dans un Etat fédéral comme la Suisse, il y a les cantons et les communes, dans un Etat unitaire comme la France les départements, les régions, etc, et, au-dessus, l’UE. En plus de ces divisions officielles, les subventions peuvent très bien être allouées par quartier, et ainsi un habitant supplémentaire pour un quartier donné peut très bien signifier moins d’argent pour les autres habitants du quartier, y compris ceux auxquels les subventions permettent de récupèrer une partie de leurs impôts. Bien entendu, il se peut aussi qu’au contraire les subventions du quartier soient déterminées en fonction du nombre d’habitants, et que donc les autres du quartier profitent de l’arrivée d’un immigré, mais cela au détriment d’un autre quartier ou de l’ensemble de la population, puisque l’argent doit bien venir de quelque part.
Quelques exemple pour illustrer ce point : je fais venir un clandestin d’amérique latine pour tondre la pelouse à ma place. Il utilisera l’espace public suisse, vaudois, etc, la spoliation de l’ensemble des contribuables suisses, vaudois, etc, en sera donc augmentée, soit. Mais en quoi serait-ce différent si j’invite un Suisse pur sucre de l’autre bout de la Suisse, d’Appenzell par exemple ? L’« agression » qu’il cause diminuera là -bas, et augmentera ici (restera la même pour les Suisses, diminuera pour, e.g, les appennzellois et augmentera pour les vaudois..), qu’est-ce que ça change ? Idem si un Parisien fait venir un résidant de Strasbourg pour lui donner des cours de physique à Paris : ça augmentera l’agression sur les parisiens. Idem, a fortiori, si Paul et Jeanne décident de faire un enfant, qui ira à l’école aux frais des contribuables. Donc, si on admet l’immigration illégale comme illégitime en tant que telle, en raison de l’utilisation de l’espace public par les immigrés, je ne vois pas comment elle pourrait l’être plus que (1) l’immigration intra-nationale (d’ailleurs parfois aussi soumise à contrôle, en URSS par exemple) (2) « l’agression marginale sur la bourse des contribuables » que constitue chaque nouveau-né (selon cette logique) (3) le tourisme, car si je vais au Japon, que je salis leurs routes, ce n’est pas moi qui payerai, mais les pauvres contribuables japonais.
On en revient, in fine, au même problème que lors du débat sur les libéraux fonctionnaires : l’Etat est de toute façon partout, et il faudrait donc s’abstenir de pratiquement toute action : prendre le train financé par l’Etat, car j’use les sièges qu’un autre contribuable devra payer, inviter des étrangers, légalement ou non, car ils vont user les routes que les autres devront payer, avoir des enfants, car ils vont user les routes et coûter à l’Etat en frais de scolarisation, voyager, à l’étranger ou non, etc.
L’immigration clandestine, donc, est plus légitime que celle encouragée par l’Etat. Quand un paysan fait venir illégalement des travailleurs pour les employer dans l’agriculture, je ne suis pas agressé. Tout au plus vont-ils emprunter une route publique, mais à ce niveau là c’est de l’ordre du tourisme. L’immigré clandestin qui vient pour travailler vient pour exercer une activité libéral-compatible, pas pour violer le Droit. Si ces actes entraînent indirectement une agression marginale sur les contribuables, ce n’est pas lui qui l’a choisi, ce n’est pas lui qui en est responsable, de même que le prof libéral n’a pas choisi que l’école soit sous monopole de l’Etat, de même que moi, usager des transports publics, je n’ai pas choisi que l’Etat monopolise le train et taxe fortement les voitures (notamment par le biais des impôts sur l’essence et par les assurances obligatoires). La responsabilité retombe sur l’Etat, car c’est l’Etat qui décide de voler, monopoliser, étatiser, pas l’immigré clandestin. Que l’immigré clandestin entraîne, involontairement, indirectement, une violation supplémentaire du Droit, imposée par l’Etat, n’en fait pas un agresseur. Imaginons qu’un cambrioleur décide de cambrioler dix maisons. Il arrive dans un quartier, en cambriole 9, et voit que le propriétaire de la 10e maison de la rangée a installé une alarme. Il va donc cambrioler la 11e maison. Il y a bel et bien un lien de cause à effet entre (1) le propriétaire de la 10e maison installe une alarme et (2) le propriétaire de la 11e maison se fait cambrioler. Un lien de cause à effet peut-être, mais une responsabilité juridique, certainement pas. Idem pour les immigrés clandestins et leur usage de l’espace public.
Il y a une responsabilité de l’immigré lorsqu’il choisit de violer le Droit, donc lorsqu’il immigre dans le but de violer le Droit, et non pas, comme l’immigré légitime, qui vient travailler, dépenser de l’argent, visiter le pays, etc, qui immigre que l’Etat soit là ou non.
Mais si les immigrés venant dans le but de violer le Droit sont responsables, l’Etat est néanmoins complice. Lorsque l’Etat laisse entrer en Suisse, sans aucun contrôle, des roms qui viennent cambrioler ou mendier en masse sur l’espace public, que personne n’a invités, qu’il les laisse vivre directement sur l’espace publique, là je suis agressé. Quand il fait venir un imam à qui il paye des milliers d’euros pour ses diverses épouses, là les Français sont agressés. Quand il dépense des milliards de francs suisses de notre fric pour hébérger des réfugiés que personne n’a invités, là je suis agressé.
Quand l’Etat ne laisse pas entrer quelqu’un qui est invité, il commet une agression, et quand l’Etat laisse entrer quelqu’un qui ne l’est pas, il en commet une aussi. Quand l’Etat ne laisse pas entrer quelqu’un qui vient pour exercer une activité pacifique, il commet une agression. Quand l’Etat laisse entrer quelqu’un qui vient pour commettre une agression, il s’en rend complice. Bien sûr, il est dificile de dire a priori si quelqu’un vient pour commettre une agression ou non. Mais ça, c’est le job que l’Etat prétend exercer. Il prétend prendre cette responsabilité à notre place, puisqu’il empêche qu’elle soit exercée par des privés, il l’assume donc. Tous les terroristes, les voleurs, etc que l’Etat a laissés entrer, une société privée les aurait peut-être mieux filtrés. L’Etat est donc, en partie, responsable de leurs agressions.
à noter, un post à ce sujet de Glenn Reynolds
En fait, le problème est que le terme « border », frontière en français, est défini par rapport aux Etats. Si une frontière est une délimitation de propriété privée, alors la question ne se pose plus… fin de la question de l’immigration.
[Si une frontière est une délimitation de propriété privée, alors la question ne se pose plus… fin de la question de l’immigration]
Et les nomades ?
Les nomades se trouvent des propriétaires prêts à les accueillir.
« Si une frontière est une délimitation de propriété privée, alors la
question ne se pose plus… fin de la question de l’immigration. »
Sauf à considérer, comme l’avait justement fait Marc Grunert, que les
individus se soucient de leur environnement social. Dès lors, les
propriétaires sont susceptibles de s’engager contractuellement les
uns vis à vis des autres à respecter certaines règles quant aux
personnes qu’ils souhaitent accueillir ou à qui ils souhaitent cèder
leur propriété. Dans une telle hypothèse, la question de l’immigration
est toujours posée.
Turion,
D’un point de vue logique tu as raison sur la question des déplacements d’individus intra-nationaux. Surtout en Suisse.
Je ne crois pas que nos positions soient fondamentalement opposées car notre modèle de référence est évidemment le droit des propriétaires. J’en tire simplement des conclusions plus…radicales.
[Les nomades se trouvent des propriétaires prêts à les accueillir]
Mauvaise réponse. On expédie les questions en apparence un peu stupides d’E Niño mais qui pourtant posent problème.
1. Le nomadisme est aussi naturel que le concept de la propriété, pire, il lui est antérieur : ne sommes nous pas tous à l’origine des chasseurs cueilleurs itinérants ?
2. La propriété foncière contribue à l’impossibilité aux nomades de vivre leur vie. La liberté des huns s’arrêtent à la propriété des autres.
3. Pourquoi le nomade est il souvent nommé « homme libre » ?
El Nino, tu ne sembles pas légitimer la notion de propriété. Est propriétaire (du point de vue libéral) le premier occupant du terrain ou celui qui l’a obtenu au cours d’un échange par la suite. Un nomade peut s’établir dans un terrain en passant un accord avec le propriétaire ou il peut s’établir en théorie dans un terrain où personne n’est encore propriétaire.
1. A partir du moment où des hommes se sont installés à un endroit (construction d’abris, culture de la terre…), il est tout à fait illégitime pour d’autres hommes d’y pénétrer sans invitation sous le prétexte que « nous sommes tous à lÂ’origine des chasseurs cueilleurs itinérants ».
2. Il est vrai que si toutes les terres de la planète avaient un propriétaire légitime (je n’inclus pas les Etats) et qu’aucun ne veuille accueillir de nomades, ceux-cis ne pourraient plus vivre leur vie. Et alors ?
3. L’homme libre est celui qui peut effectuer des échanges basés sur le Droit de propriété.
« Est propriétaire (du point de vue libéral) le premier occupant du terrain ou celui qui l’a obtenu au cours d’un échange par la suite. »
Et que penses-tu de l’expoliation des indiens d’Amérique?
Etc, etc. Si ce principe était appliqué, le monde serait chamboulé.
Là n’est pas vraiment le sujet même s’il y aurait beaucoup à dire (cf Guy Millière dans le numéro 276 des 4 vérités du 30/09/2000). D’ailleurs, tu me contrediras si tu veux mais je ne crois pas qu’il soit possible de remonter jusqu’à la nuit des temps pour vérifier quels terrains ont été acquis illégitimement et réparer les préjudices de la situation dont nous héritons aujourd’hui. Actuellement, il incombe aux libéraux de faire reconnaître les droits de propriétés partout dans le monde, condition essentielle à la prospérité (cf The Mystery of Capital d’Hernando de Soto).
« D’ailleurs, tu me contrediras si tu veux mais je ne crois pas qu’il soit possible de remonter jusqu’à la nuit des temps pour vérifier quels terrains ont été acquis illégitimement et réparer les préjudices de la situation dont nous héritons aujourd’hui. »
Je ne te contredis pas sur ce point même si sur le cas des indiens d’Amérique il est possible de déterminer qui est le légitime propriétaire (il existe des traités, actes de propriété bafoués depuis toujours, etc).
Si on fait ça, on ne s’en sort pas.
Mais, ce fait te permet de dire: « ok, on arrête tout, on fige la situation ». Alors que moi il me permet de dire « le droit de propriété, bof, c’est assez flou au niveau légitimité ».
Tu ne vas pas nier que c’est assez flou comme notion au niveau légitimité, n’est-ce pas? (puisqu’on ne sait presque jamais dire qui est légitimement le propriétaire sauf à considérer la décision du droit positif, lui-même peu légitime sur le principe).
Et pourtant, tu veux donner une légitimité aux propriétaires actuels. Au nom de quoi? Je te rappelle qu’on s’est mis d’accord sur le fait que le principe que tu invoquais au départ (« le premier arrivé ») n’est pas pertinent.
Le terrain n’était pas une ressource rare à l’époque, il l’est maintenant, d’où la nécéssité de règles d’utilisation, de droits de propriété.
Heh. Pas de bol pour eux.