Vers une coercition de proximité

La « démocratie de proximité » n’est qu’un prétexte pour les élus locaux de s’accaparer davantage de pouvoir au détriment de l’Etat, mais rarement dans l’intérêt des individus. C’est ainsi que les potentats locaux fleurissent et que l’arbitraire sévit aux niveaux départemental ou municipal. Le régionalisme et la décentralisation figureront en bonne place parmi les thèmes majeurs de la campagne présidentielle. Mais l’individu en deviendra-t-il plus libre ou bien les collectivités locales seront-elles le premier échelon de la politique-providence ? Allons-nous entrer dans l’ère de la « coercition de proximité » ? Un épisode totalement insignifiant, qui a eu pour cadre les salons feutrés de l’Hôtel de ville de Strasbourg, donne tout de même à réfléchir. L’université d’été de Génération libérale (www.LIBRES.org) avait été consacrée en 2000 au thème de la subsidiarité, principe qui doit gouverner la décentralisation libérale de la France . Le principe est simple. Dans une société, la coopération interindividuelle, ainsi que les structures politiques de base, sont censées avoir épuisé toutes leurs possibilités d’action. Des instances politiques de « secours », aux compétences élargies, prennent alors en charge les problèmes qui ne peuvent être résolus à l’échelon inférieur. Ce que l’individu peut faire lui-même, il doit le faire par ses propres moyens. Cela sous-entendrait-il qu’il y a des choses qu’il ne peut pas faire lui-même, même pas en coopérant librement avec les autres, par l’intermédiaire du marché ? Et que seule une instance politique serait à même de porter « secours » aux individus insuffisants ? C’est la porte ouverte à l’extension du politique.
D’autant plus que le principe de subsdiarité est ambigu. La construction subsidiaire peut se faire de haut en bas -l’échelon supérieur décidant a priori quel est le pouvoir et quels sont les champs de compétence de l’échelon inférieur.Dans ce cas l’individu ne gagne aucune liberté. C’est la méthode technocratique, probablement celle qu’emploiront les socialistes. Les libéraux prôneront, à juste titre, la définition ascendante de la délimitation des compétences. C’est le seul moyen, en effet, de produire une sorte de structure spontanée, fruit de l’expérience humaine.
Mais aujourd’hui, en France, le choix sera probablement déterminé par le fait que les mentalités sont clairement formatées par l’étatisme ambiant. C’est donc la subsidiarité descendante qui va s’imposer en France. On peut lancer les paris. La réorganisation des rapports entre les pouvoirs locaux et L’Etat, sous couvert de « subsidiarité », se résumera au retour de la féodalité politique. Et, après avoir déserré l’étau étatique, les individus n’auront d’autre choix que de confier leur sort à des potentats locaux. C’est pourquoi je suis sceptique quant au principe de subsidiarité, qui n’avait pas toujours la symphathie de HAYEK, à juste raison.
En guise d’illustration, j’évoquerai « la tempête dans un verre d’eau » que rapporte le journal local alsacien (DNA du 3 juillet)au sujet du financement de « l’organisation du 2e sommet du yiddish ». Le « Maire-délégué » (vanité?), Robert GROSSMANN, a tout simplement coupé les crédits aux organisateurs. Enfin, y paraît que c’est pas lui. C’est le lampiste qui avait appliqué les directives du potentat avec trop de zèle (la démocratie a ses boucs émissaires). Risible,certes, mais tout de même. S’il est vrai que le Prussien de Strasbourg aurait pu en profiter pour être poli et magnanime une fois dans l’année, il n’a cependant pas tort : toutes sortes d’associations réclament des subventions que le potentat local accorde ou non. Or il est grand temps de laisser les associations vivre pas elles-mêmes. Au lieu de cela, la « coercition de proximité » consiste précisément à utiliser les impôts « de proximité » pour réaliser les caprices des élus locaux. Donc supprimer une subvention destinée au « sommet du Yiddish » est juste. Débrouillez-vous par vous-mêmes et si ça ne marche pas c’est que ça n’intéresse peut-être personne (dès lors qu’il faut payer, on mesure la valeur des choses).
Mais le plus scandaleux dans cette petite histoire est l’argument du « Maire-délégué »: « Le thème du sommet, à savoir le yiddish en Argentine, ne me semblait pas judicieux, car très éloigné de l’histoire du judaïsme en Alsace ». Ainsi donc, il ne s’agissait pas, pour la nouvelle Municipalité de droite si peu libérale, de rompre avec l’activisme culturel et le détournement de fonds privés (les impôts) ainsi qu’avec une politique culturelle arbitraire et personnelle, mais de refuser le financement d’une manisfestation au nom d’un régionalisme TRIBAL dont M. Grossmann est le héraut. Finalement, à l’arbitraire s’ajoute la bêtise de l’argument. L’Alsace est une histoire et une culture partagées, elle n’a nul besoin d’être protégée par des politiciens qui imposent toujours leurs propres choix, ou légifèrent là où l’émergence de règles de comportement doit être spontanée.
A Strasbourg, la culture est encore politisée et les nouveaux hôtes de l’Hôtel de ville semblent s’y complaire. Diriger la culture par la politique des subventions, c’est justement ce qu’il faut à abandonner dans toutes les villes de France. Première étape vers une dépolitisation de la société et vers la restauration de la souveraineté de l’individu.