Bienvenue dans le loft

Un nouveau « jeu » est apparu il y a trois semaines de cela sur les écrans français de M6: LoftStory. 11 personnes sont enfermées dans un espace de 270m2 et sont filmés en permanence. Leurs moindres faits et gestes sont épiés, scrutés, décodés, et bien sûr enregistrés.
La Commission Européenne s’apprête à nous enfermer tous dans le Loft. Bientôt, 7 ans d’archives numériques seront conservées de nos conversations téléphoniques, nos email, notre navigation sur l’internet, mais aussi nos codes PIN divers, numéros d’identifications divers etc.
Mieux que le loft même! Le site State Watch a révélé voici quelques jours que le conseil de l’Europe s’apprête à demander à la Commission Européenne de rendre obligatoires la conservation pendant 7 ans de tous les appels téléphoniques, appels de téléphones mobiles, fax, emails, contenus de sites web, logs de tous les ISP, de n’importe où, par tous.
Aujourd’hui, les enregistrements, les logs de provider etc… peuvent être conservés 90 jours dans le cadre d’interceptions « autorisées ».
Comme le note The register, cette proposition devance les débats au Parlement Européen sur la protection de la vie privée, prévus en Juin.
Le Royaume Uni avait donné le ton en décembre, avec la même proposition. Les services secrets, polices diverses tout le monde soutien le projet: MI5, MI6, GCHQ, Customs & Excise et aussi l’Association of Chief Police Officers. Et le ministère de l’Intérieur, en la personne de Jack Straw est lui même favorable au projet.
Bien évidemment, tout cela se fera pour des motifs justes. Promouvoir une société plus juste, plus sécurisée tel est l’objectif avoué.
Comment arrivera-t-on à faire une société plus juste quand vous aurez toujours un oeil sur vous, même distant ? Je conçois mal que la société puisse être rendue plus sécurisée par des mesures telles que la conservation des logs de serveurs Apache (les serveurs web). Je vois mal comment la conservation des interminables conversations au téléphone avec ma copine va permettre d’arrêter des terroristes éventuels. Non seulement parce que le crime a toujours une longueur d’avance, mais aussi parce que le travail de la police n’est pas de prévenir, mais d’agir une fois le crime connu. Les services de police objectent à cela que les moyens d’investigations sont limités par l’usage des technologies de communication. Soit. A la police d’inventer de nouveaux moyens d’investigations! Qu’ils forment des « hackers » pour poursuivre les terroristes, décoder les emails etc… Je n’ai même pas envie de rentrer dans ce débat, de savoir comment la police devrait faire pour résoudre des affaires avec des indices volatils.
Si jamais vous vous lancez dans la recherche de moyens pour faciliter l’action de la police, vous vous rendrez compte que c’est encore de porter une caméra à l’épaule, et d’enregistrez vos faits et gestes. A défaut, puisque personne ne souhaite dévoiler toute sa vie, ce seront des caméras dans les rues, dans les maisons, dans les bus, trains, trams, chez le boulanger. Partout.
Ce n’est pas en accumulant des données par nature inutile que la police va mieux nous protéger.

Les propositions sont bien perçues par ceux qui la proposent comme contraires aux missions de la police d’aujourd’hui. Et le métier doit donc changer: la police va désormais s’inscrire dans une démarche « proactive » nous disent les documents du conseil. On comprend mieux pourquoi logger tous les messages de tout le monde…. Il va s’agir désormais non plus d’enquêter sur des crimes, mais de les prévenir… Le métier va perdre son caractère de dangerosité: les criminels seront arrêtés avant de commettre le moindre forfait. Des conversations mal intentionnées ? Des paroles à caractère raciste ou des appels au meurtre ? Attention, vous êtes surveillés. Pour un peu qu’un faisceau d’indices y concourent, comme par exemple un différent entre vous et votre banquier, enregistré dans vos transactions bancaires, confirmé par des emails virulents, et une conversation avec un ami ou vous lui dites « j’aimerai voir mon banquier les pieds dans du ciment dans la rivière », et voilà… mandat d’arrêt!

Mais pour que cela fonctionne, il faudra aussi que toutes les clés et mots de passe éventuels soient abandonnés. Les ISPs devront donc donner toutes les clés de leurs adhérents, et on peut extrapoler en disant que comme en France avant la loi « Jospin.com » les clés détenues par des individus devront être données à la police avant même toute instruction judiciaire. Des outils comme PGP redeviendraient donc illégaux, à moins de donner ses clés. La loi britannique ne s’y trompe d’ailleurs pas, puisque dans le RIP Act (sic), la police peut demander à quiconque de donner ses clés ou aux ISPs de donner toute clé en sa possession, sans intervention d’un juge, ni instruction d’une affaire. On peut donc légitimement penser que la loi européenne ira plus loin que l’archivage. A quoi bon archiver des communications cryptées n’est ce pas ?

Le conseil demande donc que tous les détails personnels soient connus et archivés: adresse IP, identification des équipements (adresse MAC des cartes réseaux, numéro du processeur de l’ordinateur), nom de login, mots de passe, ports des communications (notion technique, mais extrêmement importante). Et comme cela ne semble pas suffire, voilà que le conseil demande aussi que soient stockées les adresses physiques des personnes, et les détails des cartes de crédit!

C’est le métier de la police que d’enquêter. Charge à elle de se débrouiller sans détruire ce qu’elle doit protéger: nos libertés. Les pédophiles, les terroristes existeront avec ou sans l’Internet. Tous ces prétextes ne servent qu’à une chose: nous amener à abdiquer toute liberté. Maintenant que nous en sommes arrivés à trouver normal d’avoir un permis pour tout ou presque, et qu’un nouvel espace de liberté et d’intimité se crée, il faut l’encadrer, le censurer, le détruire finalement.
Nous allons bientôt tous faire partie du loft. La célébrité, l’argent, et les cadeaux en moins. Seulement l’oeil qui nous suivra partout, qui entendra tout.
Bienvenue dans le LOFT