L’âge de pierre

Il y a quelques semaines j’écrivais « De la dépression au suicide« . Le titre a été mal interprété: je ne déprime pas, il s’agit de la dépression et du suicide des peuples d’Europe. En voici une nouvelle illustration de ce mouvement, avec les hurluberlus de la « décroissance » et leurs amis Hulot et Bové, qui ont tous eu droit à des articles dans Le Monde ces derniers jours.

Des militants organisent une marche pour combattre l’idéologie de la croissance
LE MONDE | 07.06.05

L’idéologie de la croissance… mais qu’est-ce donc ? Vous voulez parler de l’aspiration universelle au progrès ? Celle de chaque être humain (enfin, presque) de désirer un monde meilleur, où l’on peut vivre plus vieux, dans des maisons plus grandes, avec des loisirs plus longs, un temps de travail réduit, dans de meilleures conditions de santé, de sécurité… quel enfer que celui de la croissance!

Peut-on changer le monde en marchant avec des ânes ? Partis de Lyon, mardi 7 juin, pour cheminer vers la Nièvre, où ils atteindront, le 3 juillet, le circuit automobile de Magny-Cours, une cinquantaine de militants de la décroissance le pensent fermement.

Difficile de distinguer les ânes au milieu des militants de la décroissance! (je sais, c’était facile…) Au moins, pour une fois, ceux-là semblent à peu près cohérents: pas de déplacements en train, en avion, ou en voiture: ils manifestent en marchant, et pour se mobiliser dans toute la France ils n’empruntent pas un train gratuit de la SNCF à nos frais! Si les écolos pouvaient en prendre de la graine…

L’objet de cette Marche pour la décroissance ? « Demander la suppression immédiate du Grand Prix de France automobile de formule 1, paroxysme de la pollution et du gaspillage des ressources naturelles » , écrit le journal La Décroissance, organisateur de cette action soutenue par José Bové et Albert Jacquard. « Nous voulons la fin de ce loisir anachronique réservé à une vingtaine de gosses de riches, alors que le déclin de l’extraction du pétrole est pour aujourd’hui et que le climat se dérègle dangereusement. »

Et voilà! Ils demandent l’interdiction du Grand Prix de France, gaspillage de riches, donc doublement haïssable! En plus il s’agit de voitures! Vous savez ce qu’est qu’une voiture ? Un instrument de liberté et d’oppression de classe. Qui plus est, ça pollue. Interdisons les voitures! A Paris cela se fait tout doucement: il est interdit depuis 1 ou 2 ans de construire une place de parking par appartement neuf, comme cela se pratiquait auparavant. Le prix des places de parking va donc augmenter! Mais tant mieux, car la voiture doit être un privilège réservé aux ministres et aux riches, ce qu’il faudra ensuite dénoncer violemment au nom de l’égalité dans la chaleur moite du métro, et ouvrira la voie à de nouvelles taxes (par exemple péages aux portes de certains arrondissements centraux), donc excluera encore plus les « moins riches »… jusqu’au jour où seuls les ministres circuleront en voiture privée, individuelle, climatisée, pendant que le reste des Parisiens se serreront les uns contre les autres, sauf les jours de grève où ils iront vaillamment à pied!
Bien sûr le réchauffement est avéré et d’origine humaine d’après ces écolos là. Peu importe que les périodes glaciaires et chaudes se succèdent depuis des millénaires sur notre planète sans que l’homme y soit pour quoi que ce soit…

Le Grand Prix n’est que la pointe d’une critique plus large. « Il n’est pas normal qu’il n’y ait pas de débat sur quelque chose d’aussi important que la croissance » , dit François Schneider, ingénieur écologue de 38 ans qui a déjà parcouru plus de 1 500 km à pied, depuis juillet 2004, pour « colporter » l’idée de la décroissance. Son périple a donné l’impulsion à la marche collective.

C’est vrai, c’est quand même dingue que personne ne débatte de la croissance! On parle sans cesse d’emploi, de logement, de santé, de culture, et personne ne s’occupe de croissance! Ou peut-être qu’on en parle tout le temps: la « croissance » c’est la production de nouvelles richesses. C’est ce qui rend possible ce dont tout le monde parle: l’emploi, le pouvoir d’achat, les vacances au soleil, etc… mais évidemment un ingénieur écologue n’arrive pas à faire le lien croissance/chômage/pouvoir d’achat/santé/logement… Espérons qu’il soit plus compétent en écologie qu’en économie… (malheureusement je ne parierais pas là-dessus, si ses capacités d’abstractions sont si faibles!).

Lundi 6, veille de la marche, les animateurs du mouvement ont réuni plus de 300 personnes, surtout des jeunes. « L’idée de décroissance passe bien auprès des jeunes, a observé le sociologue Paul Ariès, parce qu’elle correspond à un changement de l’imaginaire. » Car, pour ses partisans, elle implique un changement radical de société, dans laquelle il y aurait « moins de biens et plus de liens » .

Surtout des jeunes… dommage que l’on ait pas de profil type… chômeurs ? Membres d’associations diverses et variées, mais toutes subventionnées et d’extrême gauche, bien à l’abri du besoin mais suffisamment « précaires » pour se présenter comme « victimes de la société » quand ils sont les principaux parasites de celle-ci ? Hmm, mais passons ce sont peut-être de vrais passionnés de Gaïa, la Mère Nature!
Parlons du « changement d’imaginaire »: a-t-on expliqué à ces jeunes qu’ils devraient renoncer à leurs précieux jeans, Nike, aux lunettes, aux médicaments (mais pas à la Sécurité Sociale tout de même ????), aux glaces, aux téléphones mobiles, à l’Internet, aux 35h, aux congés payés… tout cela basé sur le mythe du bon sauvage: une fois débarassés de nos biens nous redeviendrons de gentils humains, proches les uns des autres, réunis dans notre amour commun de la Terre! Autour d’un grand feu parfois nous sacrifierons un bourgeois pour provoquer les pluies, et de temps à autre dans les villages composés de hutte de boue, tous rassemblés autour d’alcool artisanal (donc authentique, pur, bio!) nous mettrons à mort une vache lors du Grand Festin de l’Equinoxe!

Selon eux, la fin prochaine de l’abondance pétrolière rend incontournable la décroissance. « La production de pétrole va prochainement atteindre un pic, après lequel elle décroîtra inexorablement, a expliqué Jean-Luc Wingert, auteur de La Vie après le pétrole (éditions Autrement). Ce pic a déjà été atteint par la Grande-Bretagne et par la Norvège, et devrait l’être au niveau mondial entre 2010 et 2020. Or, si la production décline, la consommation devra aussi décroître. »

Bien sûr l’homme n’a pas la créativité nécessaire pour faire face. Un jour la dernière goutte de pétrole sera extraite, et le lendemain la civilisation prendra fin! C’est inéluctable! Personne n’est assez avisé, sauf les écolos de la décroissance, pour l’entrevoir et prendre les mesures nécessaires, comme par exemple investir massivement dans les sources d’énergie alternative, dans l’économie d’énergie etc…

Cette prévision, et la crise écologique liée au changement climatique et à l’érosion de la biodiversité, conduit ces alternatifs d’un genre nouveau, à affirmer, suivant Paul Ariès, « qu’il n’y a pas le choix entre la croissance et la décroissance, mais entre la récession et la décroissance » . Autrement dit, entre une crise économique incontrôlable et une adaptation maîtrisée.

Décroissance et récession étant synonymes, je ne vois pas pourquoi il faudrait suivre les préceptes de ce prophète de l’Apocalypse. L’économie libre permet de répondre à ces crises: au fur et à mesure que le pétrole deviendra rare, son prix augmentera. Et tout le monde se tournera vers d’autres sources, et vers l’économie d’énergie. Le mouvement est déjà en cours! Et contrairement à ce que les gouvernements voudraient nous faire croire, leur intervention est inutile: les compagnies pétrolières réinvestissent déjà dans les énergies renouvelables…

Les participants avaient, pour cela, les idées les plus diverses : vivre sans médicaments, éteindre une partie des soixante ampoules qui éclairaient la salle, réduire les déchets, ne plus privilégier la vitesse. Et surtout, des interrogations : comment résoudre la question du chômage ? Comment changer les mentalités pour sortir du culte de l’objet ? Comment articuler actions personnelles et changement global ?

Qu’ils sont drôles avec leurs propositions! Sans médicaments! La bonne blague! Réduire les déchets, oh oui quelle bonne idée! Mais c’est déjà sur les tablettes des entreprises: réduire les déchets c’est améliorer l’efficacité des processus de production! Ne leur dites surtout pas, ils en deviendraient malades et sans médicaments qui sait ce qui leur arriverait!
Par contre en abandonnant les techniques actuelles de production, il n’y aurait plus de chômage: tout le monde gratterait la terre pour trouver à manger (hmm un lombric, plein de protéines!), et les rendements s’effondrant les forêts seraient déboisées à grande vitesse, puis face à l’inévitable manque de nourriture la famine emporterait les plus vieux ayant résisté au manque de soin, et les plus jeunes…

Les orateurs ont reconnu qu’ils n’avaient pas réponse à tout ­ tout en soulignant que le système productiviste actuel ne l’avait pas davantage. « La décroissance n’est pas l’idéalisation du passé, dit Paul Ariès. Elle n’est pas non plus la décroissance de tout pour tous : elle concerne d’abord les sociétés opulentes et les gens opulents. Ainsi, elle pose la question du partage, donc de la démocratie. »

Le système productiviste actuel ? Lequel ? Le socialisme français ? Le communisme nord-coréen ? L’économie primitive d’Amazonie ? Si c’est du capitalisme libéral dont il parle, il permet d’économiser les ressources, puisque c’est le système le plus efficace économiquement. Si tout le monde vivait comme en Corée du Nord… aheum justement parlons de cet exemple de pays en décroissance! Combien de morts de famine dans les 20 dernières années ? Où sont les forêts en Corée du Nord ? Ah, mais c’est vrai dans ce paradis de la décroissance ils mangent les écorces pour survivre, et coupent les arbres pour se chauffer…
Ou parlons des merveilleux pays qui n’ont pas connu la croissance: l’Afrique, par exemple. Les taux de mortalité infantile à deux chiffres, l’espérance de vie en dessous de 50 ans (voire même 40 pour certains pays), la déforestation (là encore!)… des modèles pour l’Europe!
Ah mais il n’est pas question de revenir à une situation africaine, il s’agit de mieux répartir entre les « sociétés opulentes et les gens opulents » avec les autres ? Il faudrait « décroître » ici pour que les autres puissent croître ? Il faudrait sacrifier le niveau de vie des Européens pour que celui des Africains augmente ? Et pourquoi les Africains accepteraient de stagner à partir d’un certain niveau ? Et pourquoi les Européens ne pourraient pas aller au-delà d’un certain niveau ? Il faudra des armées de policiers pour contrôler le progrès, interdire le gain de productivité, le marketing, et bien sûr, les médicaments.

Aujourd’hui leurs idées me font sourire, mais elles portent en elles un totalitarisme polpotiste, génocidaire. Et si Le Monde leur consacre un article c’est bien qu’ils sont proches des milieux agréés, politiquement correct… comme par exemple de Bové et Hulot dont une interview croisée était en lien direct dans le carré « Ã  lire aussi » juste à côté de cet article. Ils tiennent eux aussi un discours anti-libéral, appelant à des « réformes radicales »:

Vous êtes engagé dans les débats environnementaux. La situation écologique de la planète appelle-t-elle un changement de système économique ?
José Bové : Il n’y a pas d’autre choix, parce que la planète et l’espèce humaine sont menacées dans leur survie. Le système économique dans lequel nous vivons nécessiterait trois ou quatre planètes si tous les humains adoptaient le mode de vie européen, sept planètes si c’était le modèle des Etats-Unis. De plus, 80 % des ressources de la planète sont utilisées par moins de 20 % des habitants. Donc, le système ne peut pas être étendu à toute la planète. Il ne permettra pas aux générations futures de vivre sur Terre.
Nicolas Hulot : La situation appelle un changement radical, pour une raison simple, dont on continue à faire totalement abstraction, c’est qu’on vit dans un monde clos et que, depuis le début des années 1980, on demande plus à la planète qu’elle ne peut nous donner. Ce constat impose que nous changions radicalement de logique, sans quoi nous irons dans une impasse. De surcroît, si les pays qui sortent la tête de l’eau adoptent le même mode de consommation que le nôtre, le phénomène va s’amplifier et s’accélérer. C’est à nous de montrer l’exemple.

Bové commence par répéter les idioties de « l’empreinte écologique », concept discrédité et absurde qui prétend calculer ce que coûte « Ã©cologiquement » un mode de vie, et emboîte sur une autre absurdité: « 80% des ressources sont consommées par 20% des habitants« . Bien sûr ce qu’il faut lire c’est que 80% des ressources produites le sont par 20% des habitants. C’est exactement le même mensonge sur la répartition inégale des richesses!
Hulot est à peu près dans la même ligne, à cette différence près qu’il voudrait montrer l’exemple pour ensuite dire aux autres pays qu’il ne leur faut pas commettre les excès que nous nous serions permis: on lui souhaite bonne chance!

Ce changement est-il possible tout en réduisant le chômage ?

J. B. : Dans le système actuel, le progrès technologique se traduit par des pertes d’emplois. La solution trouvée pour compenser cette perte est d’élargir sans cesse la sphère des activités « marchandisées » . En réalité, il faut passer par un partage du travail et par une réduction importante du temps de travail, jusqu’à 32 heures par semaine.

N. H. : On est dans une société où la quasi-totalité des biens de consommation sont éphémères. Si demain on utilise au maximum ce que l’on produit, on va créer des sociétés de retraitement et surtout de maintenance qui créeront beaucoup d’emplois. De plus, il y a besoin de beaucoup de travail pour adapter nos économies : par exemple, si on veut exploiter le gisement d’économies d’énergie dans le bâtiment. Il y a plein d’autres domaines où l’environnement va créer des emplois.

La réponse de Bové est extrêmement intéressante: le progrès technique (les gains de productivité) permettent effectivement de libérer des ressources, notamment humaines, pour les réaffecter à de nouveaux secteurs. C’est ainsi qu’entre le début du siècle et aujourd’hui tout un tas de nouvelles activités ont vu le jour, de nouveaux produits, toutes choses que déplorent Nicolas Hulot pour leur caractère éphémère. Bien évidemment la solution au chômage n’est pas l’interdiction de créer de nouvelles activités ou d’empêcher des activités étatisées et inefficaces (la santé, l’éducation, la police) d’être privatisées, mais tout simplement de laisser se développer librement les nouveaux secteurs… Mettre des bâtons dans les roues des créatifs et des entrepreneurs c’est le meilleur moyen de courir à la catastrophe!
Les propositions de Hulot sont plus cohérentes: il existe tout un tas de gens pour regretter la faible qualité de beaucoup de produits actuellement, moi le premier. Mais il passe à côté de l’essentiel à savoir que les emplois dont il parle existent déjà pour la plupart!

Le développement durable est-il la solution ou faut-il chercher la décroissance ?

J. B. : Le terme de développement durable est un terme piégé, parce qu’il sert à perpétuer le modèle productiviste. On doit mener une remise en cause du modèle économique et technique, et réfléchir sur ce qu’implique la décroissance, sur ce qu’implique le partage des richesses, et sur la relocalisation de l’économie. Aujourd’hui, on ne peut pas parler de développement sur l’ensemble de la planète si on ne relocalise pas l’économie et si on n’arrête pas la croissance des transferts économiques d’une région du monde à l’autre.

N. H. : Si le développement durable signifie une croissance quantitative des flux énergétiques et des flux de matière, ce n’est pas la solution. Mais je ne crois pas que la décroissance économique puisse se faire sans un chaos social. Par contre, je crois qu’il faut aller vers la décroissance des flux énergétiques et des flux de matières, parce que si la croissance économique signifie une augmentation parallèle des flux de matières ou énergétiques, on va dans le mur. Mais on peut opérer un découplage, entre croissance économique et croissance des flux matériels. En recourant à plusieurs outils, dont le premier est la fiscalité écologique et énergétique, taxant les biens et services selon leur impact écologique et énergétique. Quand on aura une telle fiscalité harmonisée à l’échelle européenne, la croissance économique s’accompagnera d’une décroissance matérielle ou, en tout cas, aura moins d’impact sur les ressources. L’idée n’est pas d’aller vers une société de privation, mais vers une société de modération.

Tiens donc, Bové fait partie de la secte de la décroissance! Quelle surprise! Et pourquoi lier tout cela au « partage des richesses » ? Parce que le capitalisme libéral c’est mal, la technologie, c’est mal! Tous égaux dans la pauvreté! Et que dire de la « relocalisation de l’économie » ? Il faut arrêter les flux entre régions du monde, et même mieux que ça: il faut que chaque pays fonctionne en autarcie, Enver Hoxha, Kim Il Sung nous voilà! Contrôles à la frontière, interdiction de commercer avec les étrangers! Et pourquoi s’arrêter là ? Pourquoi ne pas limiter les déplacements et les échanges à l’intérieur des départements, ou des régions ?
La réponse de Hulot est pleine de naïveté: il ne comprend pas que la croissance ne se fait pas au détriment de l’environnement mais que justement la croissance signifie la recherche d’efficacité et donc d’économies. Et ce ne sont pas des taxes qui permettront d’aller plus vite en ce sens: les taxes appauvriront les Européens, enrichiront les politiciens et les gestionnaires, et ralentiront la croissance…

Décidément, on a du souci à se faire avec les écolos: entre le partage des richesses, les lubies du commerce équitable, la décroissance, les taxes écologiques, la relocalisation… toutes leurs idées font appel à l’Etat d’une manière ou d’une autre: il faudra toujours une autorité supérieure pour se mettre en travers des gens, leur interdire de créer, d’échanger, d’innover, de se déplacer… ils nous préparent un beau paradis écologique qui sera aussi un paradis totalitaire. Attention aux rêves qui terminent en cauchemar…

Libéralisme, bouc émissaire

Je transmets cet excellent article de Mathieu Laine de l’institut Turgot et Jean-Philippe Feldman. Il s’agit d’une exécution dans les règles de l’art du texte constitutionnel. Il y a donc lieu de se féliciter de son rejet. Mais le comble est que les militants du NON, bien loin de voir que le mal français consiste dans leur refus obstiné et irrationnel du libéralisme, s’en sont servis comme bouc émissaire.

Le libéralisme, bouc émissaire

Par Mathieu Laine
Avocat à la Cour de Paris
Chargé d’enseignement à l’Université Panthéon-Assas
Directeur général de l’Institut Turgot (www.turgot.org)

et Jean-Philippe Feldman
Professeur agrégé des facultés de droit
Avocat à la Cour de Paris

Cet article a été publié dans Le Figaro du 8 juin 2005

La victoire du « non » au référendum sur la Constitution européenne vient clore l’une des campagnes électorales les plus antilibérales de l’histoire politique française : alors que les partisans du « oui » voyaient dans le projet de Constitution le meilleur rempart contre « la mondialisation ultra-libérale », les partisans du « non » annonçaient que son adoption livrerait la France à « l’ultra-libéralisme européen ». Nous avons ainsi assisté à l’émergence d’une nouvelle forme de populisme dont le bouc émissaire n’est autre que le libéralisme. Après le triomphe du « non », l’opinion majoritaire laisse entendre qu’il s’agirait d’une victoire des anti-libéraux. Mais aurait-on dit autre chose si le « oui » l’avait emporté ? Rien n’est moins sûr.

La Constitution européenne n’est pourtant pas – comble du paradoxe – libérale ! Pour les libéraux, une constitution devrait tout d’abord avoir pour objet non pas tant d’agencer les pouvoirs que de limiter le Pouvoir. Synthèse ambiguë, la Constitution européenne encourage à l’inverse l’augmentation et la centralisation des pouvoirs. Au-delà des domaines de compétence exclusive de l’Union européenne, la liste des domaines de compétence partagée avec les Etats membres est en effet impressionnante : marché intérieur, environnement, protection des consommateurs, transports, etc. Les principes de subsidiarité et de proportionnalité sont certes consacrés, mais au lieu d’être remontante, au lieu de partir de l’individu pour remonter jusqu’à l’Union européenne, la subsidiarité, concept fondamentalement libéral, est ici descendante. Le projet de traité établissant une Constitution pour l’Europe n’instaure par ailleurs aucune véritable balance des pouvoirs : la Commission et le Parlement ne se font pas contrepoids et le judiciaire demeure le parent pauvre du texte.

Pour un libéral, une constitution devrait également soumettre la prise de décision politique au respect des droits fondamentaux que sont la liberté, la responsabilité et la propriété afin de protéger les individus contre la tyrannie de la majorité et lÂ’arbitraire du Prince. Or, lorsque le projet de Constitution européenne proclame que lÂ’Union « Âœuvre pour le développement durable de lÂ’Europe fondé sur (Â…) une économie sociale de marché » et participe à lÂ’avènement de la « justice sociale », il sÂ’inscrit bien plus dans une dialectique sociale-démocrate que dans une dynamique authentiquement libérale. De même, le catalogue des nombreux « faux droits », issus de la Charte des droits fondamentaux et rassemblés dans la seconde partie de la Constitution (droit à la vie, droit à l’éducation, droit à lÂ’information et à la consultation des travailleurs au sein de lÂ’entreprise, droit à une protection contre tout licenciement injustifié, droit à une aide sociale, droit à une aide au logement, etc.), sont des « droits-créances » – et non pas des vrais droits de lÂ’homme – et nÂ’auraient donc jamais trouvé leur place dans une véritable « Constitution de la liberté ». Certes, le droit de propriété est prévuÂ… mais en dix-septième position sur cinquante-quatre articles, et il nÂ’est consacré quÂ’en fonction de son « utilité sociale ». Quant à la « liberté dÂ’entreprise », elle est bien rappelée à lÂ’article précédent mais elle doit être entendue « conformément au droit de lÂ’Union et aux législations et pratiques nationales ». Autant dire quÂ’elle nÂ’est pas garantie. Même si, enfin, la Constitution reconnaît le droit de sécession de tout Etat membre et dispose que lÂ’accroissement de la fiscalité communautaire demeurera soumis à la volonté unanime des Etats, comment ne pas sÂ’inquiéter des termes de lÂ’article I-53, relatif aux ressources propres de lÂ’Union, qui prévoit que celle-ci « se dote des moyens nécessaires pour atteindre ses objectifs et pour mener à bien ses politiques » ?

Cette « constitution » n’est donc pas, à proprement parler, libérale. Le fait que de nombreux Français aient voté contre ce texte ne devrait donc pas, logiquement, être interprété comme un signe de défiance à l’encontre des solutions libérales. Le « non » l’ayant emporté, que va-t-il cependant se passer ? Au niveau européen, la France aura sans doute, pendant quelques temps, moins d’influence. D’aucuns s’en inquiètent. Mais lorsque l’on voit que le président français était parvenu, pour des raisons purement politiciennes, à brandir son fameux « modèle social français » (qui n’a, comme c’est étrange, séduit aucun pays de l’Est au sortir du communisme), pour faire céder les vingt-quatre autres pays de l’Union Européenne sur la Directive Bolkestein, alors même que la France, second exportateur mondial de services, aurait pu en tirer le plus grand profit, ne faut-il pas, non sans tristesse, y voir une bonne nouvelle ? L’Europe a parfois – même si cela s’est produit moins souvent qu’on ne le dit – su tirer la France vers plus de liberté. Si les libéraux européens pouvaient effectivement avoir, grâce au « non » français, davantage de marges de manœuvre pour imposer leurs vues, la France ne pourrait, par ricochet, qu’en tirer le plus grand profit.

Au niveau national, du fait de l’anti-libéralisme triomphant tant chez les partisans du « oui » que chez les défenseurs du « non », il fallait s’attendre à ce que les autorités publiques annoncent un nouveau « virage social », envisagé avant même le résultat par M. de Villepin et supposé tenir compte de la volonté exprimée démocratiquement par le peuple français. Avec la victoire du « non », le président de la République risque d’ouvrir une période qui, sans rompre avec la stratégie molle des demi-choix non assumés (qui ne paye pourtant pas électoralement), devrait être encore plus étatiste, constructiviste et anti-réformatrice que la précédente. Une telle perspective avait d’ailleurs fait hésiter une partie des libéraux à se prononcer, politique intérieure oblige, contre une constitution qui ne correspondait pourtant pas à leurs idéaux de liberté et de responsabilité. Le pire serait donc à venir.

La France aurait pourtant bien besoin d’un véritable « tournant social », qui ne perpétuerait pas des recettes anciennes mais qui ouvrirait la voie à une nouvelle politique de désengagement étatique rapide de la sphère économique, de renforcement énergique de la flexibilité du travail et de récompense véritable du mérite et de l’effort. Car un pays où l’on donne la possibilité, grâce à une réforme fiscale audacieuse et à une révision profonde du droit du travail, à ceux qui ont perdu leur emploi (et souvent leur dignité) d’en retrouver un autre très rapidement et où le taux de chômage tombe à 4 % est bien plus juste et plus efficace, sur le plan social, qu’un pays où le taux de chômage reste à 10 % et où l’on promet, en guise de solution, l’aide impossible d’un Etat obèse et déresponsabilisant. Cette politique, authentiquement libérale et couronnée de succès partout où elle a été mise en oeuvre, n’a pourtant jamais été appliquée en France.

Face à cette crise politique, qui n’est pas sans rappeler le choc du 21 avril 2002 et qui traduit, avec la montée des extrêmes, une profonde défiance des électeurs à l’égard des politiques sociales-démocrates des gouvernement de droite comme de gauche, les hommes politiques devraient saisir la chance de rompre enfin avec les échecs du welfare pour sortir de l’« exception » française et emprunter, avec énergie, confiance et conviction, la voie novatrice du workfare. Mais qui en aura le courage ?

Que le « non » soit antilibéral ou pas, personne ne peut le savoir : il y a tant de « non » différents ! En revanche, une chose est plus que jamais certaine : la France, qui s’effondre chaque jour davantage, ne pourra supporter les conséquences d’une énième surenchère sociale. Elle doit désormais changer de modèle de société. Et seule une société de liberté permettra à ce pays de remonter la pente.

Les bienfaits de la victoire du non

Une excellente analyse de Pascal Salin. L’article se fonde sur l’hypothèse qu’il faudrait une Constitution européenne. Ce qui ne signifie pas que Pascal Salin veuille une Constitution. Ce cas de figure n’est pas imaginable compte tenu de ce qu’il a écrit par ailleurs. Pascal Salin se laisse guider ici par la quête du moindre mal dans des circonstances données. Mais clairement il ne souhaite pas de Constitution:
« On peut très bien accepter le statu quo et le processus d’intégration économique européenne ne s’en poursuivra pas moins et même mieux !Il permettra, mieux que n’aurait pu le faire la Constitution, la diversité des expériences et un certain épanouissement des libertés individuelles. »

Les bienfaits de la victoire du non

PAR PASCAL SALIN, Le Figaro, 6 juin 2005

L’économiste libéral appelle de ses voeux une nouvelle constitution plus
courte et plus sobre

Un libéral devrait avoir toutes les raisons de se réjouir de la victoire du
non. Certes, cela peut surprendre parce que les libéraux n’ayant malheureusement pas beaucoup d’expression politique en France pour le moment, ce n’est évidemment pas à eux que l’on peut attribuer cette victoire. Et il est incontestable qu’elle est due essentiellement à des électeurs, de droite ou de gauche, d’extrême droite ou d’extrême gauche, qui prétendaient ainsi barrer la route à une Europe ultralibérale, même si, probablement, un certain nombre de libéraux ont estimé dans leur for intérieur qu’ils ne pouvaient pas honnêtement voter pour un tel projet de Constitution.

Il est également probable et regrettable que ces résultats vont inciter le
président de la République et le gouvernement à «répondre» au prétendu message des électeurs en récusant plus que jamais les solutions libérales. Ce faisant, ils offriront un exemple supplémentaire de ce fait majeur que la plupart des gouvernements sont fondamentalement myopes, leur horizon se limitant aux événements immédiats ou, au mieux, aux prochaines élections. Mais il est aussi bien évident qu’un tel infléchissement de la politique ne fera que donner un élan nouveau au cercle vicieux de l’interventionnisme étatique qui n’a conduit depuis des décennies qu’au déclin, aux désillusions et à l’aggravation des conflits.

Alors pourquoi se réjouir de la victoire du non ? Tout simplement parce qu’il faut voir au-delà de l’horizon à très court terme des hommes de l’Etat et évaluer le rejet de la Constitution européenne, non pas en fonction de ses incidences immédiates sur la politique française, mais en fonction du rôle que cette Constitution aurait pu jouer à plus long terme.

La seule question qu’il convenait en effet de se poser à ce sujet était la
suivante : qu’est-ce que la Constitution européenne aurait pu ajouter à ce qui existe déjà ? En effet, il existe ce qu’on appelle parfois un «acquis communautaire», avec ce qu’il a de bon (la concurrence accrue et la
déréglementation de beaucoup d’activités) et ce qu’il a de mauvais (les tendances à
la centralisation, la politisation des problèmes, les politiques communes, les directives bureaucratiques, etc.).
Or, si l’on pouvait se réjouir d’y trouver une réaffirmation des droits individuels traditionnels, on devait regretter que la Constitution y ajoute des «droits sociaux» ou droits positifs : ces «droits à» (par opposition aux
«droits de») signifient en effet que l’autorité étatique utilise la contrainte publique pour donner à des citoyens des droits sur les autres. Ces droits sont incompatibles avec les droits traditionnels et ils les mettent donc en danger.

En réalité, la Constitution européenne reflétait toute l’ambiguïté du processus même de l’intégration européenne qui n’a jamais pu trancher entre deux visions radicalement opposées, la vision concurrentielle et la vision harmonisatrice.
Pour la première, qui a été à l’origine même du processus, il suffit de supprimer tous les obstacles aux échanges de biens, de services, de facteurs de production, mais aussi de règles juridiques, et donc laisser jouer la concurrence aussi bien entre individus qu’entre autorités publiques.
Pour l’autre vision qui a pris avec le temps une place croissante et même
peut-être dominante, il faut au contraire supprimer les différences,
harmoniser, centraliser les décisions.
La première vision permet la diversité des expériences, elle est source d’innovation et de progrès, la seconde tend à figer les situations, à empêcher la recherche des meilleures solutions, à renforcer les décisions bureaucratiques et politiques.
En fait, lorsque l’intégration politique avance, c’est l’intégration économique par la concurrence qui recule.
Or,la Constitution européenne, en étendant la liste des domaines de compétence partagée, en renforçant les pouvoirs centraux des institutions communautaires, en légitimant toutes sortes de «droits sociaux», donnait une impulsion à l’approche centralisatrice et interventionniste.

Il était vital que soit donné un coup d’arrêt à cette dérive communautaire.
On pouvait craindre en effet que, dans un processus de centralisation des décisions, la mécanique même des négociations conduise à un renforcement continuel de l’interventionnisme européen, alors que, dans une Europe décentralisée, les pays qui le désirent peuvent mettre en oeuvre des solutions plus libérales comme le font maintenant avec succès un grand nombre de pays anciennement communistes – de telle sorte que l’on peut espérer la mise en oeuvre d’un processus de contagion des bonnes idées par l’exemple.

Telle est d’ailleurs toute l’ironie du référendum qui vient de se terminer
: enfermés dans leur environnement purement national, certains des
principaux défenseurs du non se sont imaginé sans doute qu’ils pourraient obtenir
une renégociation du traité constitutionnel, renforçant encore
l’interventionnisme européen en faveur d’une généralisation du fameux modèle social
français.
C’est là une pure illusion car un grand nombre de nos partenaires de
l’Union européenne considèrent ce modèle avec pitié ou même mépris. La
Constitution européenne rejetée était donc pour les admirateurs du modèle social
français un texte inespéré, une occasion qui ne peut pas revenir.

Que peut-il alors se passer maintenant ? Rejetons tout d’abord l’idée émise
par certains, en particulier l’ancien président Giscard d’Estaing de
demander aux Français de voter de nouveau. Il y a là un mépris des électeurs tout à
fait stupéfiant : les hommes de l’Etat considèrent que, leurs désirs étant
tellement plus dignes d’intérêt que ceux des citoyens si ces derniers leur
disent oui, on en reste là, mais s’ils leur disent non, on leur demande de
voter jusqu’à ce qu’ils se décident à dire oui !
Considérons donc que la Constitution européenne est morte, même si certaines
de ses dispositions sont ultérieurement adoptées.
On peut très bien accepter le statu quo et le processus d’intégration
économique européenne ne s’en poursuivra pas moins et même mieux ! Il permettra,
mieux que n’aurait pu le faire la Constitution, la diversité des expériences
et un certain épanouissement des libertés individuelles.
Mais si l’on tient absolument à doter l’Europe d’une Constitution, il
convient de revenir à sa justification profonde : non pas seulement organiser les
pouvoirs, mais définir les moyens de défendre les libertés individuelles
devant les emprises excessives des Etats. Une Constitution courte, sobre, mais
fidèle à la grande tradition européenne telle d’ailleurs que la Constitution
américaine l’avait adoptée est possible à imaginer.
Un projet en ce sens existe d’ailleurs, celui qui a été élaboré par
l’«European Constitutional Group» (1) et le site http://www.fnst.org. Pourquoi des
pays qui ont été si tragiquement séparés par l’histoire violente du XXe siècle
ne pourraient-ils pas se retrouver unis ainsi par une même aspiration à
défendre la liberté ?

La Constitution mort-née

Même morte, elle bouge encore!

Juncker: « Je reste néanmoins d’avis que le processus doit pouvoir continuer dans les autres pays. »
Schroeder: « Le processus de ratification doit continuer »
Jiri Paroubek (premier ministre de la République tchèque): « Nous allons continuer nos efforts pour faire ratifier la Constitution de l’UE »
Chirac: « Alors que onze pays se sont déj� prononcés, il appartient � tous les autres Etats membres de l’Union de s’exprimer � leur tour »

Un journaliste de Newsweek aurait pris cette photo des membres de la Commission, errant � la recherche de la Constitution:

commission de Bruxelles

Non au modèle anglo-saxon!

Chirac vient de nommer un nouveau premier ministre: Dominique De Villepin. Il lui a donné pour « priorité de l’action gouvernementale » la réduction du chômage:

La priorité de l’action gouvernementale, au service des Françaises et des Français, c’est, évidemment, l’emploi. Il exige une mobilisation nationale.

Et il va même plus loin:

le seul critère c’est celui de l’efficacité […] aucune solution ne doit être écartée par préjugé.

Toutes les solutions, sauf une, le libéralisme, qualifié pour l’occasion de « modèle anglo-saxon »:

Cette mobilisation, je suis décidé à l’inscrire résolument dans le respect de notre modèle français

Il ne faut surtout pas abandonner ce système d’économie dirigée qui réussit si bien aux très grands groupes internationaux (LVMH, Carrefour, Airbus, Thalès, Areva, Total…) et aux politiciens. Bon, l’effondrement du niveau de vie, le chômage de masse, la faillite prévisible et imminente du système des retraites, la crise permanente du logement (vous voulez habiter dans 7m² ? en France, c’est possible!), etc… tout ça, ils s’en foutent royalement.

Et un poney

Mon ami Gavin est plus qu’un simple collègue, c’est un sage. Dites-lui que vous voulez une éducation gratuite de haute qualité, il répondra qu’il veut une éducation gratuite de haute qualité, et un poney.

Vous voulez une couverture médicale gratuite? Je veux une couverture médicale gratuite et un poney. Vous voulez un salaire minimal plus élevé? Je veux un salaire minimal plus élevé et un poney. Vous voulez être payé à ne rien faire? Je veux être payé à ne rien faire et un poney. Vous voulez la paix dans le monde et en finir avec les épidémies et les famines? Je veux la paix dans le monde, en finir avec les épidémies et les famines et un poney. etc.

Pourquoi n’y ai-je pas pensé plus tôt? Après tout, qui n’a pas envie d’un poney? C’est si mignon, un poney. Si naturel. Si calinembrassande! Tout le monde a envie d’un poney, surtout s’il est donné gratuitement! Moi, je veux un monde où les gens ils sont moins stupides. Et un poney.

Une recette pour la France

– Prendre une France déclinante, mais encore vivante.

Critères de sélection :

* un taux de chômage à au moins 2 chiffres (système moteur)
* une croissance zéro (système moteur)
* des déficits publics gargantuesques (train arrière)
* une fiscalité destructrice (membres inférieurs)
* un population n’ayant plus goût à rien et atteinte de paranoïa aiguë (muscles pectoraux avant)
* des fonctionnaires arrimés à leurs privilèges et incapables de se réformer (train arrière)
* des syndicalistes défilant dans la rue un jour sur deux sous des prétextes fallacieux (viscères)
* une caste politique logée dans une tour d’ivoire qui ne voit rien, n’entend rien, ne comprend rien (tête)

– Enlever la tête pourrie pleine d’Enarques, gardez les pantoufles, cela pourra toujours servir à d’autres.

– Eviscérer l’animal de ses syndicalistes les plus virulents. Remplacez-les par des représentants du travail élus par ceux qu’ils représentent, constructifs et tournés vers l’avenir.

– Extraire le code du travail du système moteur et le jeter immédiatement à la poubelle. Attention à la réaction-réflexe de l’animal suite à cette opération !

– Enlever la carapace de règlementation qui apesantit le dos de la bête.

– Débrancher l’intra-veineuse de Sécurité Sociale du membre supérieur droit.

– Détacher délicatement les sangsues fiscales, une par une, des membres majeurs qui recouvreront aussitôt leur rose d’origine.

– Relâcher la bête dans la nature, après lui avoir expliqué qu’elle n’est pas le nombril du monde, contrairement à ce que son cerveau pourri lui a indiqué pendant des décennies, mais qu’elle peut en être l’un des moteurs majeurs, pour peu qu’elle se donne la peine d’utiliser pleinement son intelligence et ses capacités créatrices.

Démoquoi ?

Alors que la coalition socialo-pastèque allemande se prend claque sur claque à chaque élection depuis 2002, Schroeder vient à peine d’en tirer les conclusions: il tente de « dissoudre » le bundestag. Comme il n’en a pas le droit au sens légal, il doit compter sur sa majorité pour se saborder et lui retirer sa confiance. Sauf que les parlementaires ne veulent pas. Les raisons ? Je cite Le Monde, que l’on peut difficilement taxer d’ultra-ultra-libéralisme (puisque c’est maintenant le terme):

les objections de députés de base inquiets pour leur avenir. Craignant de ne pas être réélus, ces derniers calculent déjà ce que leur coûterait une dissolution prématurée : une perte de salaire d’abord, une reconversion professionnelle difficile ensuite, une retraite amputée par une législature incomplète enfin.

Il est vrai qu’en France un parlementaire éjecté touche son salaire 6 mois après avoir été mis dehors, qu’il a un droit à vie de manger au restaurant (somptueux, évidemment) de l’Assemblée Nationale, et que pour la retraite ils ont un petit système très avantageux (1 an de cotisation pour eux = 2 ans pour les autres).
Comme en France, où Chirac vient de prendre une 2nde claque magistrale après celle de 1997, et sachant qu’il n’a gagné en 2002 que « par défaut » face à Le Pen, les socialo-communistes allemands font un bras d’honneur aux électeurs.
Elle est belle la démocratie européenne du « couple franco-allemand »!

Réduire l’Etat

« J’ai parfois le sentiment, � considérer ce pays, de vivre dans un système de type soviétique dont les éléments se renforcent les uns et les autres pour bloquer toute réforme. Les citoyens, au niveau local ou national, élisent des représentants pour cinq ans ou six ans, des représentants qui prendront un grand nombre de décisions engageant l’avenir de notre pays. Quel contrôle ultime s’exerce sur ces représentants ? Le contrôle représenté par l’élection demeure largement illusoire. »

Pascal Salin
La pertinence et l’importance des propos de Pascal Salin se suffisent � elles-mêmes. Je n’y ajoute aucun commentaire et dépose cet entretien qui restera dans les archives de la PL. (M.G.)

Les réflexions d’un haut fonctionnaire et d’un économiste de sensibilité libérale sur les blocages de l’administration
Raymond-François Le Bris – Pascal Salin : «Réformer ou réduire l’Etat ?»
Chômage, exclusion, inadéquation du système éducatif, déséquilibre du territoire, autant de raisons pour la France d’engager une réforme de son Etat. Dans un livre d’entretiens (1) conduit par Michel Schifres, vice-président du comité éditorial du Figaro, auteur d’un essai remarqué sur l’énarchie (2), Raymond-François Le Bris, professeur de droit, préfet honoraire et ancien directeur de l’Ecole nationale d’administration, explore des pistes pour une réforme. Il en débat, pour Le Figaro, avec l’économiste libéral Pascal Salin, professeur � l’université Paris-Dauphine et auteur d’une oeuvre inspirée par le «libertarianisme» de Bastiat et de Hayek (3).
Propos recueillis par Frédéric Fritscher, Marie-Laure Germon et Alexis Lacroix
[30 mai 2005]

LE FIGARO. – Pourquoi apparaît-il si difficile de réformer la fonction publique en France ?

Raymond-François LE BRIS. – La difficulté de mettre en oeuvre des réformes en France n’affecte pas seulement la fonction publique. Il suffit, pour s’en rendre compte, de considérer le champ des réformes auxquelles nos compatriotes sont assez spontanément rétifs : celui-ci dépasse le cadre de la fonction publique. Le droit du travail et les matières économiques sont autant de domaines où la réforme s’impose, ce qui n’empêche pas la plupart des Français de s’y montrer a priori opposés. Dans le même temps, les Français comprennent aujourd’hui qu’une nouvelle démarche dans le champ des compétences de l’Etat et dans la manière d’exercer celles-ci s’impose. Tout émotive qu’elle soit, et parfois par trop rivée au hic et nunc et � l’instantanéité, notre société est, en effet, capable de comprendre le sens et la nécessité d’une réforme. Mais il faut qu’au préalable nos concitoyens aient été informés et sensibilisés � sa nécessité : chacun perçoit bien, en effet, que, si l’on n’entreprend pas des réformes d’Etat, nous ne pourrons pas faire face � toutes les échéances financières de notre pays. Les mentalités des Français ont, sur ce point, considérablement évolué, comme l’attestent toutes les études de Sociovision Cofremca que je cite dans mon livre sur L’Etat, quand même (1). Il faut donc savoir capter leurs attentes. La volonté de réforme politique, qui a longtemps fait défaut, s’affirme aujourd’hui nettement. Il reste – et c’est le plus difficile – � la soutenir efficacement.

Pascal SALIN. – Je ne pense pas que le problème de la réforme soit lié � celui des mentalités qui reflètent en grande partie l’environnement institutionnel. Si l’on a du mal � réformer l’Etat, c’est parce qu’il est dans sa nature de n’être point réformé ! De surcroît, celui-ci repose sur un principe de comportement qui valorise non l’échange volontaire, mais la contrainte et la volonté discrétionnaire. Dans son essence, l’Etat comporte une structure porteuse de rigidités. Il est donc hautement illusoire de s’imaginer qu’on le réformera. Il se régénère spontanément en l’absence de tout contre-pouvoir. Or, le seul contre-pouvoir efficace est celui de la concurrence, celui qui manque précisément � l’Etat. Par définition, l’Etat est monopolistique. L’enjeu n’est donc pas tant de réformer l’Etat que de le diminuer. C’est la raison pour laquelle, plutôt que de mener une réflexion sur un Etat idéal et rêvé, je préfère me pencher sur les hommes de chair et de sang qui le composent effectivement. Leurs comportements, leurs motivations et leurs mentalités sont déterminés par les conditions institutionnelles dans lesquelles ils se trouvent. Dans une situation de monopole, les incitations � une modification des comportements sont quasi inexistantes.

R.-F. L. B. – Parmi les facteurs qui contribuent � l’attractivité d’un pays, l’existence d’une bonne administration, active, moderne et efficace, est essentielle. Une administration qui sait compter représente un élément d’attractivité important pour un investisseur. L’absence de précision dans les comptes ou de gestion avisée de la dépense est, en revanche, fortement pénalisante. La concurrence dans la sphère publique existe désormais au plan international. C’est une nouveauté. Il faut s’en réjouir.

P. S. – En Europe, les conditions d’une authentique concurrence entre Etats sont pour la première fois réunies. Or l’Etat, en particulier en France, s’évertue � empêcher l’installation de cette concurrence. L’intégration européenne est dominée par l’impératif de l’harmonisation, preuve que les politiques européennes demeurent secrètement hantées par le rêve constructiviste d’un façonnement volontariste de la société. La logique qui guide une grande partie des Européens, c’est celle qui consiste � évacuer les risques liés � la concurrence en créant un monopole européen � l’image du monopole français. C’est en particulier dans cette dimension européenne que la réforme montre toutes ses difficultés. Cependant, même si les dirigeants de l’Etat admettent parfois que nos voisins européens sont plus attractifs que la France, ils se résignent facilement � voir les Français, las de l’alourdissement des charges fiscales et réglementaires, quitter notre pays. Cette résignation a un prix : chaque année, les meilleurs de nos étudiants s’exilent, faute d’un jeu efficace et prometteur de la concurrence. Cependant, un libéral conséquent n’est pas seulement favorable � la concurrence, il est avant tout un défenseur du droit de propriété. La concurrence ne prend son sens qu’entre des personnes qui sont propriétaires, donc responsables. C’est pourquoi la concurrence entre des Etats – dont l’existence repose sur la négation du droit de propriété – n’est pas suffisante. Mais il n’en reste pas moins que la concurrence fiscale est préférable � l’harmonisation fiscale.

R.-F. L. B. – Je me différencie profondément de vous sur ce point. La volonté que vous exprimez de projeter totalement dans la sphère étatique l’ensemble des règles qui assurent le fonctionnement des entreprises et des sociétés privées ne me paraît pas réaliste. Certaines missions de l’Etat, parce qu’elles sont au coeur de la cohésion sociale et qu’elles constituent ses prérogatives régaliennes – la justice, la sécurité, par exemple – ne peuvent pas être soumises au régime de concurrence désentravée que vous appelez de vos voeux. Par ailleurs, même si la monnaie relève désormais de la compétence européenne, tout comme demain la politique extérieure et de sécurité commune, de nouvelles attentes vis-� -vis de l’Etat en France se font jour auxquelles il convient de répondre.

Lesquelles, en l’occurrence ?

R.-F. L. B. – En matière d’environnement, de santé publique et de sécurité sanitaire, notamment. Le consommateur réclame d’avoir la certitude que les aliments ou que les médicaments qu’il consomme ne sont pas nocifs. Un pouvoir d’Etat, non compromis avec des intérêts privés, peut fournir aux citoyens ce type de garanties. Mais ce n’est pas parce que l’Etat est ainsi appelé � exercer de nouvelles compétences qu’il n’a pas pour autant � corriger l’un de ses plus grands défauts : l’inaptitude � savoir bien compter. Quel préfet a une idée exacte de ce que représente l’ensemble des dépenses de salaires versées aux agents des administrations publiques de l’Etat dans le département ou la région où il est en poste ? S’agissant des ambassadeurs, aucun d’entre eux ne dispose, � ce jour, des moyens de chiffrer dans un pays donné la dépense annuelle cumulée des services de l’Etat. Ce n’est pas qu’ils n’en ont pas le désir. Mais les moyens de pouvoir ainsi comptabiliser l’ensemble de la dépense publique ne leur sont pas donnés. La Lolf (la loi organique pour les lois de finances du 1er août 2001) qui entrera en application effective le 1er janvier 2006 va heureusement influer sur le comportement des agents publics et des hauts fonctionnaires ainsi que sur les attentes des citoyens. Elle prévoit que les budgets seront votés par missions, elles-mêmes déclinées en programmes et en actions, et que les responsables de programmes devront rendre compte devant les commissions du Parlement du point de savoir si les objectifs fixés par la loi de finances, et qu’ils avaient la charge de mettre en oeuvre, ont été ou non remplis. La Lolf promeut une authentique modernisation. Je me rapproche donc de Pascal Salin sur ce point : il suffirait de disposer des coûts cumulés de l’ensemble des politiques publiques appliquées � un champ précis comme celui de l’insertion professionnelle, par exemple, pour s’apercevoir que la multiplicité des acteurs locaux, communes, départements, conseils régionaux, acteurs étatiques, établissements publics de l’Etat, rend nécessaires des économies drastiques de structures. Le souci constant dans notre pays de veiller � l’orthodoxie dans l’utilisation des moyens dissimule en réalité une absence complète de culture de l’évaluation. Pour que celle-ci puisse exister, encore faudrait-il que les hauts fonctionnaires chargés de mettre en oeuvre les politiques publiques reçoivent des missions claires. Au cours de trente années passées au service de l’Etat en tant que haut fonctionnaire de la République, je n’ai jamais reçu de lettres de mission de l’Etat. En conclusion sur ce point, je pense que l’Etat moderne devrait rester dans ses compétences strictes et veiller � les assumer selon des modes de gestion performants en laissant � l’initiative privée tout le champ qui doit être le sien.

P. S. – Vous mettez en exergue l’importance de savoir compter. Ce qui me paraît dramatique, c’est que nous en soyons encore � réclamer de l’Etat cet impératif de base. Une entreprise gérée par des gens qui ne savent pas compter serait condamnée � mettre la clé sous la porte ! Ce simple décalage entre ce qu’on exige d’une entreprise et ce qu’on n’ose pas exiger de l’Etat fournit, � mon sens, une preuve éclatante du fait que sa capacité � se réformer est limitée. Certes, l’Etat fourmille d’hommes et de femmes de bonne volonté, mais le contexte institutionnel a de quoi les décourager, car il récompense quasi systématiquement ceux qui tentent de s’accommoder des pesanteurs et de l’inertie acquise. Un des exemples les plus évidents de cette rigidité et de cette irresponsabilité est celui de l’Université, où rien ne semble pouvoir bouger. D’où cette succession de microréformes sectorielles qui laissent, au fond, les mains libres au Léviathan !

Voyez-vous d’autres domaines où s’exerce cette inertie ?

P. S. – Tous les domaines de l’action publique ! Pour prendre un seul exemple, dans son livre édifiant, Les Danseuses de la République, Christian Gérondeau montre qu’il reviendrait moins cher d’offrir une voiture particulière � chacun des passagers de certains trains express régionaux plutôt que de maintenir en vie des lignes coûteuses sous la pression de syndicats qui défendent essentiellement des intérêts privés ! De ce point de vue-l� , parler de service public est erroné et mystificateur. Nous avons davantage affaire � un enchevêtrement d’intérêts privés qui se soutiennent mutuellement en utilisant la contrainte légale. La réforme de l’Etat est un slogan sympathique, mais seule sa réduction, drastique et volontariste, peut donner des résultats durables.

Si la volonté politique de réformer l’Etat ne peut pas aboutir, pourquoi la volonté politique de réduire la taille de l’Etat aboutirait-elle ?

P. S. – La volonté politique de réduire la taille de l’Etat peut exister. Le XXe siècle abonde en exemples éloquents – ceux de Margaret Thatcher ou de Ronald Reagan, par exemple – d’autant plus admirables que, dans tous les pays, le phénomène étatique est extrêmement difficile � mettre en question.

R.-F. L. B. – La France fait exception. Jamais la volonté d’y réduire la taille de l’Etat, ni d’en moderniser la gestion, s’agissant notamment de celle qui concerne les ressources humaines, ne s’est très activement manifestée dans le passé.

P. S. – Certes, mais dans bien d’autres pays – la Nouvelle-Zélande, l’Australie ou l’Estonie – cette volonté s’est fait jour. L’exemple de l’Estonie est instructif. Le premier ministre, historien de formation, n’était pas versé en économie. Mais il avait pour livre de chevet Free to Choose de Milton Friedman. Il s’en est inspiré pour conduire ses réformes. Dans un pays en transition démocratique, plus exempt de rigidités que les pays de la Vieille Europe, ces réformes pouvaient certes être conduites avec davantage de facilité. Mais l’exemple estonien a un mérite : il atteste que la réduction rapide de la place de l’Etat est possible.

R.-F. L. B. – Si la réforme de l’Etat apparaît aujourd’hui � tous comme une nécessité impérieuse en France, c’est notamment � la suite du choc provoqué par le 21 avril 2002, que j’évoque largement dans L’Etat quand même. La qualification de Jean-Marie Le Pen pour le second tour de l’élection présidentielle a révélé qu’une fraction importante de la population française était dans un état de contestation civique avancée. Et cette découverte a causé un sursaut. Depuis lors, la volonté politique de réformer l’Etat me paraît se manifester avec toujours plus d’évidence.

Plus qu’un Etat modeste, ne faudrait-il pas plutôt un Etat � sa juste place ?

R.-F. L. B. – L’Etat n’a pas de légitimité pour intervenir partout, y compris dans les domaines où il intervient aujourd’hui. L’Etat ne me semble pas légitime pour intervenir dans des champs qui relèvent de l’initiative privée. En outre, certains modes de gestion devraient être modifiés. Ils commencent d’ailleurs de l’être � l’initiative du ministre de la Fonction publique, Renaud Dutreil. Cela est très important car la gestion des grands ensembles de personnes que constituent les effectifs de la fonction publique d’Etat (la fonction publique territoriale et la fonction publique hospitalière étant elles-mêmes � part) connaît, encore � ce jour, de très graves insuffisances. Une occasion historique unique de traiter ce problème se présente, en raison du départ imminent � la retraite de dizaines de milliers d’agents publics (le pic devant être atteint en 2008 avec le départ � la retraite de près de 70 000 agents de l’Etat). Une réflexion doit donc être conduite sur l’opportunité ou non de les remplacer totalement. Lorsque ce remplacement s’avère nécessaire, il faut voir s’il convient de le faire � âge et � expérience identiques. Ce qui me frappe beaucoup dans toutes les procédures de gestion des effectifs de la fonction publique d’Etat ou des fonctions publiques en général dans le passé, c’est la dictature du concours de recrutement. Ainsi, quand des populations entières de fonctionnaires s’en vont � la retraite, on recrute automatiquement, pendant quelque cinq ou six années, des générations entières de jeunes gens et de jeunes filles appelés � rester durant toute leur vie actives au sein de la fonction publique, rendant, de ce fait, extrêmement difficile la gestion d’une fonction elle-même répartie en neuf cents corps actifs. La loi votée le 6 avril par l’Assemblée nationale traduit en droit français une directive européenne d’après laquelle, au-del� de deux contrats � durée déterminée, on sera contraint de passer � un contrat � durée indéterminée susceptible de n’être rompu que pour une cause réelle et sérieuse comme en droit privé. Il s’agit d’un grand progrès. Il faut par ailleurs promouvoir, au sein de la fonction publique, tous les aménagements qui peuvent permettre davantage de flexibilité dans la gestion des effectifs ; une plus grande diversité des modes de recrutement et une meilleure valorisation de l’expérience, jusqu’ici entravée par la «tyrannie du diplôme initial», comme je l’écris dans mon livre, constituent autant de facteurs � prendre en compte dans la politique de gestion des ressources humaines. D’où l’urgence � diversifier les modes et les âges de recrutement. C’est l� un élément central de la réforme de la fonction publique en France. Par ailleurs, la décentralisation s’est réalisée jusqu’� ce jour sans véritable contrôle citoyen. En quoi, par exemple, le concept d’administration de proximité est-il davantage développé par les collectivités territoriales ? La transparence des coûts et la responsabilisation des décideurs administratifs, appelés � rendre des comptes aux citoyens, devraient nous permettre d’obtenir une administration moderne, � la fois moins coûteuse et d’une plus grande efficacité.

P. S. – A mon sens, la seule voie possible, c’est la politique de choc consistant � réduire l’Etat. Par contre, une politique graduelle a toutes les chances d’échouer car elle laisse du temps aux opposants de la réforme pour s’organiser, les enjeux en termes d’intérêts et d’avantages acquis étant importants.

R.-F. L. B. – Il y a un point sur lequel la mise en place de mesures symboliques est nécessaire. S’agissant, par exemple, du service public minimum, je suis partisan d’une loi qui en fixe la règle. Elle produirait certainement, pour le coup, un choc. Je le crois, sur ce point, nécessaire.

P. S. – La contrepartie du monopole devrait être l’absence du droit de grève, dans la mesure où le monopole repose sur l’idée que le service public est indispensable � la vie de la société. Admettre une interruption – même temporaire – du service public est donc une contradiction dans les termes. L’appartenance � un secteur qui vous garantit un certain nombre d’avantages devrait s’accompagner d’un renoncement au droit de grève, même si ce dernier fait l’objet d’un tabou, � mon sens infondé. La grève sert en fait non pas � défendre un prétendu service public, mais � favoriser l’extension indéfinie de la sphère étatique.

R.-F. L. B. – L’indépendance vis-� -vis du pouvoir et des pressions financières constitue la condition essentielle du maintien d’une fonction publique de qualité dans une République comme la France.

P. S. – C’est bien le contraire qui se passe, car les agents du «service public» dépendent totalement des relations de pouvoir au sein de l’Etat ! Ce qui me préoccupe, c’est l’aspect monopolistique et monolithique de l’Etat. Etre absent de ses canaux de pouvoir équivaut alors � une marginalisation définitive. Nos universités, marquées par un monolithisme intellectuel caricatural, sont le miroir grossissant de ces tendances.

Certes, mais «l’illibéralisme» français excède très largement la question du volume de l’Etat…

P. S. – Un de mes sujets d’étonnement, c’est la propension de nombreux compatriotes � s’en remettre � l’autorité publique pour le moindre problème. Le libéralisme devrait être naturel ! En effet, les hommes de l’Etat sont irresponsables juridiquement, et non pas moralement, dans la mesure où ils ne supportent pas eux-mêmes les conséquences de leurs actes, toujours en raison du monopole de l’Etat. Dans la mesure où l’on interdit � des entrepreneurs d’entrer dans les activités qui sont censées être étatiques, le contrôle essentiel – et responsabilisant – de la concurrence est absent. Cela me paraît d’autant plus grave que l’Etat bénéficie d’un monopole dans des activités décisives pour les individus, par exemple la santé, l’éducation ou le logement. Le monopole étatique y est particulièrement nuisible.

R.-F. L. B. – Il n’y a pas de monopole en matière de santé !

P. S. – L’obligation de s’assurer socialement via la Sécurité sociale relève d’une démarche de monopole total !

R.-F. L. B. – De l’ensemble des champs d’obligation qui sont ceux de l’Etat en France, celui relatif � l’éducation est, � mes yeux, essentiel. Parmi 780 000 ou 800 000 jeunes d’une même classe d’âge, l’âge moyen de départ du système éducatif est de 21 ans, mais l’échelonnement des âges de sortie est très différencié entre ceux qui quittent le système précocement � 16 ans ou tardivement � 27 ans. Face � de telles disparités, il faut imaginer des facteurs d’ajustement que je développe dans mon livre sous la forme d’une reconnaissance d’un droit aujourd’hui peu reconnu dans la société française : c’est ce que j’appelle le «droit � la deuxième chance». On peut également concevoir que des initiatives privées puissent être prises, quitte � ouvrir nos universités � des modèles différents, inspirés notamment des expériences britannique ou américaine.

P. S. – Je voudrais revenir de manière un peu plus générale au problème des services publics. Lorsqu’on analyse ces questions, on se rend compte que, dans tous les domaines, on peut trouver de bonnes raisons pour introduire de la concurrence, de telle sorte que la notion de «service public» est une pure fiction. Prenez la sécurité alimentaire. On considère spontanément que l’Etat doit protéger les citoyens contre les risques. Mais, si l’Etat s’en abstenait totalement, des labels qualitatifs apparaîtraient et des sociétés se chargeraient d’attribuer des notations. Le seul système capable d’être évolutif serait un système autorégulé de ce type.

Que faudrait-il dire aux Français pour que le besoin d’émancipation prévale sur celui de protection ?

P. S. – Il faudrait qu’ils comprennent qu’il est illusoire d’attendre une protection efficace d’une institution – l’Etat – qui est par nature irresponsable. Dans un monde de propriété privée et de concurrence, c’est l’intérêt des producteurs de proposer des produits qui soient le moins dangereux possible pour les acheteurs. Lorsqu’on les laisse libres d’agir, les hommes sont capables de miracles d’imagination pour trouver les meilleurs moyens de protéger, de sécuriser, d’assurer. La prise en main de ces activités par l’Etat – sous l’apparence trompeuse de la gratuité – tue tous ces trésors d’imagination.

Ce qui revient, en réalité, � faire concurrence � l’Etat ?

R.-F. L. B. – Je ne le crois pas. La diversité des sources d’information, comme le suggère Pascal Salin, et la transparence des coûts que je préconise me paraissent indispensables. Il ne s’agit pas ici d’un problème de concurrence par rapport aux missions de l’Etat.

Entre-temps, le privé finit par être contaminé par la frilosité qui règne dans le public…

P. S. – Une fois de plus, les institutions déterminent les comportements : les entrepreneurs sont incités � penser qu’il est souvent préférable d’obtenir des privilèges tactiques plutôt que de faire des efforts productifs. J’ai parfois le sentiment, � considérer ce pays, de vivre dans un système de type soviétique dont les éléments se renforcent les uns et les autres pour bloquer toute réforme. Les citoyens, au niveau local ou national, élisent des représentants pour cinq ans ou six ans, des représentants qui prendront un grand nombre de décisions engageant l’avenir de notre pays. Quel contrôle ultime s’exerce sur ces représentants ? Le contrôle représenté par l’élection demeure largement illusoire.

(1) L’Etat quand même, éditions Odile Jacob.

(2) L’Enaklatura, Lattès.

(3) Libéralisme, Odile Jacob, La Concurrence, PUF, «Que sais-je ?».

C’est NON

La claque méritée pour la classe politique de droite et de gauche. La remise en cause profonde de la construction politique de l’Europe. Coup d’arrêt � l’émergence du Léviathan. Champagne !

A lire également cette bonne analyse de Stéphane.

Les institutions administratives empêtrées dans leur impuissance, seul le marché commun continuera de fonctionner, étendu comme il se doit aux personnes, aux marchandises et aux services. Le Non français vient sans doute de consacrer l’Europe du libre-échange, un simple marché commun.